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fractions de la majorité, les regards se portèrent sur le jeune rapporteur du budget des recettes. Lui seul semblait en situation, non pas de remplacer le duc de Broglie, mais d’empêcher, en entrant au conseil, un défaut d’équilibre entre les forces diverses qui le constituaient. M. Guizot surtout devait insister sur l’à-propos et l’excellence de ce choix, puisqu’à défaut de l’illustre et intime ami dont le concours lui échappait, c’était un ami encore, professant les mêmes convictions, qu’il allait retrouver pour collègue.

Depuis sept ou huit ans, depuis l’apparition du Globe, bien qu’il n’eût pris lui-même aucune part directe à ce recueil, M. Guizot était en relation fréquente avec un certain nombre de ceux qui le rédigeaient, et Duchâtel entre autres, par son goût pour la politique, avait auprès de lui comme un titre de plus à ce commerce bienveillant. Ce n’étaient pas encore les relations étroites que devait plus tard établir entre eux l’exercice en commun du pouvoir; une différence d’âge d’environ seize années, bien plus sensible alors que huit ou dix ans plus tard, excluait l’intimité proprement dite aussi bien que l’égalité de situation ; mais la confiance était dès lors entière de part et d’autre, et l’unité de vues comme de doctrines complète ou peu s’en faut. M. Guizot avait alors l’esprit aussi puissant et presque autant de charme qu’après son passage au pouvoir; mais il était, il le dit bien lui-même, plus doctrinaire et de beaucoup, tandis que son jeune ami, arrivé sur le tard dans ce milieu intellectuel, n’en avait pris les habitudes qu’à moitié et ne s’était donné qu’avec quelques réserves. Chez lui, l’emploi de l’abstraction et les façons métaphysiques d’apprécier les choses et les hommes, de tout convertir en idées, étaient déjà largement mitigés par les besoins pratiques de son esprit, par ses instincts administratifs et gouvernementaux. Quoi qu’il en fût, c’était comme allié naturel et presque nécessaire du ministre de l’instruction publique, en même temps que par la faveur et l’élection, pour ainsi dire, de la plus grande partie de la chambre des députés, que le 4 avril 1834 il prit place dans le cabinet du 11 octobre, reconstruit à nouveau ou du moins restauré.

Il ne fallait pas moins que cette façon encourageante de parvenir au pouvoir pour lui rendre moins rudes les obstacles qui l’y attendaient. Je ne parle pas de ce genre de difficultés que les circonstances ménageaient à ses collègues aussi bien qu’à lui, difficultés générales à braver en commun; celles-là ne laissaient pas que d’être assez sérieuses : prêter serment le 4 avril, et dès le 5 se trouver en présence de l’insurrection lyonnaise à moitié maîtresse de la ville, lui disputer pendant trois jours cette grande cité, étouffer la révolte éclatant à la fois sur dix autres points du territoire, et retomber de là en face d’un procès gigantesque, impraticable en apparence et