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sonnage officiel, au grand distributeur des travaux et des grâces, qu’aux lumières d’un bienveillant patron et presque d’un confrère. Ce n’est pas ici le lieu d’énumérer toutes les sages mesures et les créations fécondes auxquelles dans cette sphère il attacha, son nom; mais comme type de la manière dont il traitait cette sorte d’affaires, et de sa résolution d’introduire la discussion et le contrôle, l’esprit parlementaire en un mot jusque dans l’esthétique, je ne puis m’empêcher de rappeler ce Comité des monumens historiques qu’il avait établi comme un conseil consultatif dont les avis et les propositions, dictés par le seul intérêt, par le pur amour des monumens, furent constamment et religieusement adoptés par lui sans que jamais ni la politique ni aucune influence étrangère à l’archéologie y fît la moindre invasion. Ce que cette institution en moins de dix années, par une intelligente distribution d’un fonds peu abondant, a fait vivre de monumens menacés d’une mort prochaine, ce qu’elle en a soutenu, réparé, achevé, ce qu’elle a créé d’artistes spéciaux, respectueux observateurs du style de chaque époque, le public, même le plus indifférent, a pu s’en apercevoir. Ce qu’elle est devenue depuis, je ne le cherche pas; mon seul but, en parlant ici de l’administration de M. Duchâtel en matière de beaux-arts est de faire sentir par quelle transition naturelle, lorsque lui en vint le loisir, il était préparé à aimer les tableaux. Mais ce n’était rien de les aimer ; pour se plaire à les acquérir, à en poursuivre la conquête, il fallait s’y connaître, en savoir le mérite, en apprécier la valeur, talent qui ne s’acquiert qu’à force d’expérience, après longues années. Grâce au don de sa nature, qui abrégeait pour lui toute espèce d’apprentissage, il n’eut pas plus tôt suivi quelques ventes et comparé quelques musées, que son éducation fut faite. La sûreté de son goût, la justesse de ses observations, émerveillaient les plus fins connaisseurs. Sans parti-pris dans ses admirations, résolu seulement à ne jamais accepter le médiocre et le faux, il se laissait toucher par les talens les plus divers; mais son penchant, sa prédilection instinctive le ramenait toujours aux nobles maîtres et aux œuvres de style. Il avait eu le rare bonheur d’eu rencontrer un certain nombre, vrais chefs-d’œuvre, qui feraient la gloire des plus illustres musées d’Europe, et, pour les entourer d’un cortège d’élite, il guettait l’occasion sans se hâter jamais, aspirant moins au nombre qu’au choix et à la qualité. Cette collection, qui ne ressemble à aucune autre et vraiment faite à l’image de celui qui l’a créée, vivra, nous l’espérons. Le tendre respect qui en ce moment la conserve ira se perpétuant, ne fût-ce qu’en souvenir des nobles joies dont elle fut cause et des regrets qu’elle avait adoucis.

Je dois le dire pourtant, il ne faudrait pas croire que la contemplation ni même la possession de chefs-d’œuvre eût remplacé tout