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vailler, comme le disait Lafayette, à la construction de lui-même.

Faute d’un droit international, on recourt aux traités, lesquels sont des contrats fondés sur des faits accomplis et reconnus de tous. Ces contrats créent un droit provisoire, ils substituent pour quelque temps le règne de la loi aux caprices et aux témérités des intérêts. Tel a été pendant près d’un demi-siècle le rôle des traités de Vienne. Si critiquables qu’ils fussent, quelques abus qu’ils aient sanctionnés, ils ont servi de règle à l’Europe et lui ont procuré de longues années de paix, qu’elle a utilement employées à travailler, à s’enrichir et à penser. Comme toute chose, les traités vieillissent, quand toutefois on leur en laisse le temps ; ils se cassent, s’affaissent, deviennent caducs. Avant de les violer, on les élude clandestinement, il se commet des fraudes, des dois, et les abus l’emportent sur la somme des avantages.

On avait fini par ne plus croire qu’à moitié aux traités de Vienne ; mais on n’osait les dénoncer, on craignait, en les ébranlant, de provoquer quelque écroulement. Cependant on éprouvait le besoin de mettre quelque chose à la place. Les uns adoptaient pour règle l’équilibre européen, règle incertaine, mouvante, l’état de l’Europe ayant changé de siècle en siècle sans qu’elle cessât de se trouver en équilibre. D’autres se réfugiaient dans le principe des nationalités ; mais qu’est-ce que les nationalités ? à quoi les reconnaît-on ? ont-elles toutes les mêmes droits ? Que deviendrait l’Europe, si on adoptait la division par races ou par langues comme la norme suprême de la politique ? Un Provençal et un Alsacien sont-ils de moins bons Français qu’un habitant de l’Ile-de-France ? Et ne voit-on pas au centre de l’Europe un petit pays très prospère, habité par trois races qui ont toutes les trois leur langue, leurs mœurs, leur caractère, leurs usages, et dont chacune a moins d’affinités d’humeur avec les deux autres qu’avec l’étranger son voisin ? Le Suisse a pour patrie ses institutions, qu’il préfère à tout ce qu’il voit ailleurs. D’autres enfin pensaient résoudre toutes les difficultés par le principe de la souveraineté populaire ; ils professaient que les peuples étaient majeurs et en conséquence maîtres de leurs destinées, que, libres de se constituer chez eux comme ils l’entendaient, ils étaient libres aussi de se donner à qui ils voulaient : doctrine très contestable. Si l’on reconnaît aux peuples le droit absolu de décider de leur sort, il faut leur reconnaître aussi, sous peine de limiter leur liberté, le droit de se repentir de leurs résolutions et d’en changer, car les peuples ne sont pas des individus, ils ne sauraient engager leur avenir. Une nation devenue majeure peut, par l’exercice régulier de ses droits légaux, modifier son gouvernement intérieur ; mais si elle accepte une dépendance étrangère et qu’elle s’en trouve mal, lui permettra-t-on de se dédire ? Son nouveau maître s’oblige--