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à un éclectisme timide, aux demi-mesures, à la demi-révolution et à la demi-conservation. Il est obligé de respecter les gros murs ; mais, s’il n’a garde de tout renverser, il ébranle tout. — M. de Bismarck, disait un Prussien, aura passé au milieu de nous comme un redoutable météore. Ses créations ne sont que des expédiens provisoires, mais ses désorganisations dureront. Il nous laissera tout à la fois agrandis et détruits, ne sachant à quoi nous prendre, avec des institutions ruinées, l’armée seule debout.

Il y a quelques années encore, la Prusse était un pays remarquable et original; en attendant mieux, elle est aujourd’hui un pays étonnant, qui ne représente plus rien, mais qui possède, un homme qui lui tient lieu de tout. Par malheur, les hommes nécessaires ne sont pas immortels. Si celui-ci venait à manquer, Berlin serait le théâtre d’une crise plus grave et plus orageuse que celles qui agitent la France et l’Autriche. On peut dire de l’héritage du grand Frédéric ce que Wellington disait jadis de l’Espagne : « on travaille à détruire dans ce pays-là tous les vieux moyens de gouvernement, et on ne les remplace par aucun autre. »


IV.

C’est une chose bien hasardeuse que les futuritions. Il faut en croire le vainqueur de Rossbach. «Que sont les projets des hommes? a-t-il dit. L’avenir leur est caché; ils ignorent ce qui doit arriver demain; comment pourraient-ils prévoir les événemens que l’enchaînement des causes secondes amènera dans six mois? » Il disait encore : « Le monde ne se gouverne que par compère et par commère. Quelquefois, quand on a assez de données, on devine l’avenir; souvent on s’y trompe. » Il en concluait qu’il est bon de se défier de soi el de compter avec les caprices « de sa sacrée majesté le hasard. »

il est cependant des probabilités qui équivalent à des certitudes. On peut affirmer, par exemple, qu’une situation qui ne satisfait personne, ni les intérêts ni la logique, a peu de chances de se perpétuer. On peut affirmer aussi que la clé ou le nœud des affaires d’Allemagne est à Berlin, qu’il dépend de la Prusse de modifier entièrement l’état de la question allemande. Si Berlin venait à changer, tout changerait. Berlin changera-t-il? Il lui est impossible de ne pas changer. Quand changera-t-il? Ceci est du ressort de sa majesté le hasard.

Les vrais libéraux prussiens, dont nous avons parlé plus d’une fois, groupe d’excellens esprits, intelligente! galerie qui assiste aux événemens sans y prendre part, et qu’on traite de boudeurs ou de frondeurs parce; que Sadowa ne les a pas grisés et qu’ils sont ré-