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sous, et les nouvelles élections renforcèrent le parti ennemi de la France. Par malheur, Guillaume III ne survécut guère à cette crise. La reine Anne fut appelée au trône au mois de mars 1702.

La mort du roi Guillaume fut assurément une grande perte pour Defoe. Honoré de la confiance de ce souverain, dont il avait sans cesse défendu la cause, admis dans son intimité, le publiciste eût été sans doute appelé à continuer dans de hautes fonctions publiques l’influence qu’il avait acquise par ses premiers écrits. Le changement de règne fut suivi d’une révolution dans la politique. Il suffisait que l’on eût été cher au feu roi pour être suspect aux nouveaux conseillers de la couronne. Le revirement ne fut pas moins appréciable dans le monde religieux. En ces dernières années, la modération avait prévalu ; la haute église ne reprit le dessus que pour manifester l’intolérance la plus étroite envers tous les hérétiques, y compris le corps nombreux des dissidens. Un certain docteur Sacheverell, prêchant devant l’université d’Oxford, arborait « le drapeau du sang et la bannière de la défiance » contre tous ceux qui étaient en désaccord avec l’église d’Angleterre. Ces provocations atteignaient les convictions religieuses de Defoe, de même que les tendances du nouveau gouvernement blessaient ses opinions politiques. Habile à saisir ses adversaires par leur côté faible, il leur répondit dans un pamphlet ironique où il s’appropriait leurs argumens en les exagérant pour en faire mieux comprendre la folie. Le titre même de cet opuscule était trompeur : le Moyen le plus simple d’en finir avec les dissidens ou Projet pour l’établissement de l’église. Quelques-uns y furent pris en effet, et les dissidens s’en effrayèrent à la première lecture; mais on ne tarda pas à découvrir la fine moquerie qui avait dicté ces pages. Après avoir applaudi, les partisans de l’église établie crièrent au scandale et demandèrent vengeance à l’autorité civile. On sut bientôt quel était l’auteur; le malheureux s’était caché, on le mit à prix. La chambre des communes condamna le livre à être brûlé par la main du bourreau, puis l’imprimeur et le libraire furent emprisonnés. Defoe vint alors se livrer aux vengeances de ses ennemis. Devant les juges, il eût pu plaider son innocence et invoquer, comme justification, les écrits provocateurs de la partie adverse. Mal conseillé, il se contenta de réclamer la clémence royale. Déclaré coupable d’avoir composé et publié un libelle séditieux, il fut condamné à deux cents marcs d’amende, à être exposé trois fois au pilori, et emprisonné aussi longtemps qu’il plairait à la reine.

La sentence était sévère, surtout si l’on songe qu’elle frappait un ancien confident de Guillaume III. Passer en moins d’un an du cabinet du roi à la prison de Newgate, c’était une chute pénible