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toire. Singulier contraste d’ailleurs ! c’est depuis que l’Italie travaille avec le plus de zèle à constituer son unité politique qu’une école d’écrivains italiens s’est formée pour recueillir minutieusement et raviver les souvenirs de l’ancien antagonisme provincial, pour relever, à l’honneur de chaque petite république, les noms des artistes qu’elle a vus naître ou les œuvres qu’elle a payées de ses deniers, pour isoler enfin les uns des autres, pour cantonner dans leurs origines locales ou dans la sphère de leurs travaux particuliers des talens dont l’action collective s’est étendue pourtant fort au-delà de ces limites.

La critique française a des coutumes plus synthétiques, et le livre de M. Mantz en fournit une nouvelle preuve. Peut-être même le désir de généraliser les choses et de réduire l’histoire de la peinture italienne à un petit nombre d’exemples ou de principes s’accuse-t-il parfois dans cet ouvrage avec une opportunité contestable ; peut-être les divisions établies par l’écrivain pour déterminer les phases que l’art a successivement traversées ne correspondent-elles pas toujours à l’importance des progrès accomplis ou aux principales étapes de la marche. Que M. Mantz consacre un chapitre entier à Léonard, dont le prodigieux génie résume et condense en quelque sorte toutes les aspirations, tous les essais, tous les rêves du XVe siècle, rien de mieux. Que dans d’autres chapitres les noms de Giotto, de Michel-Ange, de Titien, personnifient chacun toute une époque, tout un ordre de travaux et de découvertes, il n’y a rien là non plus qui ne soit en proportion avec les souvenirs laissés par ces grands maîtres et avec leur rôle de chefs d’école ; mais pourquoi avoir procédé de même à l’égard de Jean de Fiesole, qui ne représente, lui, qu’un admirable talent personnel, — on dirait presque la manière d’être d’une âme, et qui, sans influence sur ses contemporains, n’a laissé après lui ni continuateurs, ni disciples ? En revanche, suffisait-il de mentionner parmi les plus habiles peintres de leur temps des initiateurs tels que Masaccio et Jean Bellin, et ne fallait-il pas au contraire mettre sous le couvert de leurs noms deux des plus fécondes réformes que l’art italien ait jamais subies ? N’insistons pas au surplus. Quelques réserves que puissent autoriser certains détails dans l’ordonnance ou certaines appréciations partielles, l’ensemble du travail sur les Chefs-d’œuvre de la peinture italienne a ce mérite, assez rare pour qu’on le signale, d’être conçu dans un ordre d’idées supérieur aux simples questions d’inventaire ou aux recherches purement biographiques. Ce n’est pas que, le cas échéant, l’auteur se refuse à faire justice des préjugés ou des légendes ; tout en s’attachant de préférence à l’examen des faits généraux, il ne néglige pas de recueillir des renseignemens sur quelques particularités caractéristiques et parfois des renseigne-