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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/760

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vace et active ? Quel est le mécanicien de génie qui se serait chargé de faire marcher cette machine sans qu’il y eût une explosion au premier pas ? Et en réalité le sénat lui-même aurait dû être le premier à proposer cette réforme qu’il reçoit aujourd’hui des mains de l’empereur et du ministère du 2 janvier. À quoi lui a servi ce pouvoir constituant qui n’a été que la décoration fastueuse de son inaction ? Il l’a eu pendant vingt ans, il n’en a pas retiré une grande gloire. Il a fait les sénatus-consultes qu’on lui a demandés, mais par quel acte d’initiative propre s’est-il signalé ? Quel projet nouveau d’intérêt national a-t-il produit au grand jour pour s’illustrer ? Le gouvernement lui-même s’est cru obligé, dans une circonstance, de le gourmander et de lui reprocher son inertie. Ce n’était peut-être pas sa faute, c’était la faute du rôle assez extraordinaire qu’on lui avait imposé. Ce n’est point assurément aujourd’hui que le sénat serait en mesure de revendiquer ce rôle, et qu’il pourrait avoir quelque raison de le regretter.

À tout prendre, la métamorphose à laquelle il va se soumettre ne le diminue nullement ; elle le replace au contraire à son vrai rang, elle lui rend les moyens d’exercer réellement et efficacement cette fonction de pouvoir modérateur qui est celle des chambres hautes dans tous les pays. Il ne perd que ce qu’il n’aurait pas pu garder, il redevient ce qu’il aurait dû être toujours. Et, qu’on le remarque bien, la réforme actuelle, dès qu’elle a été reconnue nécessaire, tranchait d’avance cette question de l’article 33 de la constitution, sur laquelle on paraît avoir hésité jusqu’à la dernière heure. Cet article, on ne l’ignore pas, laissait à l’empereur le droit de prendre, de concert avec le sénat, toutes les mesures d’urgence pour la marche du gouvernement dans le cas de dissolution du corps législatif ; en d’autres termes, c’était en quelque sorte une possibilité de dictature temporaire légalisée par anticipation. Autrefois, sous le régime de 1852, cette disposition n’était pas plus extraordinaire que bien des choses du même genre. Aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, cela eût produit tout simplement l’effet de l’article 14 de la charte de 1815, transporté dans la constitution nouvelle. C’eût été l’apparence survivante d’une arrière-pensée d’omnipotence allant inévitablement provoquer dans l’opinion une arrière-pensée de défiance. Nous ajoutons que c’eût été une précaution aussi inutile que dangereuse. Le régime parlementaire ne reste point apparemment désarmé dans les circonstances exceptionnelles. Si, dans un moment où le corps législatif serait dissous, il arrivait quelque événement inattendu de nature à nécessiter une détermination immédiate, il y aurait un ministère pour la conseiller, pour l’adopter, en gardant devant les assemblées la responsabilité de ses actions. Croit-on par hasard que dans le cas prévu par l’article 33 les mesures d’urgence que pourrait prendre l’empereur seul seraient moins regardées comme un coup d’état, parce qu’elles auraient la légalisation du sénat ? Le pays y verrait toujours un acte de