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très vif, le tir admirable des assiégeans a éteint toutes les batteries découvertes de la casbah et de la ville; des pièces sont même démontées dans les casemates. Tout ce qu’on pouvait attendre de cette attaque était obtenu; il fallait maintenant transporter à Coudiat-Aty les canons du Mansoura, pour ouvrir la brèche, cette porte de la victoire, vers laquelle on n’avait encore fait qu’un premier pas.

Dans l’état des hommes, des chevaux et du terrain, c’était une entreprise d’une énorme difficulté que de faire descendre aux pièces de 16 et de 24 de la batterie Damrémont, par des pentes impraticables, l’escarpement du Mansoura, de leur faire passer, sous le feu de la place, le torrent impétueux et gonflé du Rummel, et remonter ensuite la glaise à pic de la rive gauche pour gagner la batterie de brèche; mais cette entreprise, décisive pour l’issue du siège, et dont l’échec eût été irréparable, fut accomplie par l’artillerie avec une énergie sans bornes et une patience à toute épreuve.

A la tombée de la nuit, pour couvrir, contre les sorties de la place, le chemin, très rapproché des remparts, que l’artillerie est obligée de suivre, les ruines du Bardo ont été occupées par le 47e régiment, et quelques débris de masures, que la négligence arabe a omis de raser, sont rétablis par les sapeurs, et servent d’abri aux postes les plus avancés.

Pendant ce mouvement, deux pièces de 24, deux de 16 et huit chariots d’approvisionnemens se mettent en marche. La colonne, battue par une pluie diluvienne, arrive à minuit seulement au Rummel, plus impétueux que jamais. Malgré les efforts fougueux des soldats, qui restent douze heures de suite dans l’eau jusqu’à la poitrine pour déblayer les blocs de rochers qui obstruent le gué, malgré les tentatives ingénieuses du colonel de Tournemine et la ténacité du général Valée, le torrent, où les voitures s’engagent une à une, n’est franchi qu’à cinq heures du matin; 40 chevaux et 200 fantassins essayaient de faire monter à la première pièce une rampe à peine praticable pour un cavalier isolé, lorsque le jour parut brusquement et sans crépuscule, comme au lever d’un rideau. Le feu des remparts, jusqu’alors lent et incertain, devient précis et terrible; mais le danger, qui est souvent un auxiliaire à la guerre, rend de la force aux hommes épuisés. Les canonniers détellent avec calme les chevaux frappés dans les traits ; les officiers et sous-officiers du train des parcs saisissent et guident eux-mêmes les attelages de leurs conducteurs : la première pièce est enlevée, la seconde suit aussitôt; mais les chevaux, effrayés par les projectiles, se dérobent, et le canon verse en cage. En un clin d’œil, 200 hommes du 47e, dirigés par le capitaine Munster, l’ont relevée comme au polygone au milieu de la mitraille se concentrant sur eux. La route,