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la montagne jusqu’aux prédications des plus hardis docteurs du protestantisme de nos jours.


I.

Nous venons de dire que les réformateurs, même les plus radicaux, qui prêchent le nouveau christianisme, n’entendent pas faire autre chose qu’un retour à l’ancienne doctrine telle qu’elle a dû sortir de la bouche du Christ; mais quelle est cette doctrine? Point obscur sur lequel la critique contemporaine a concentré toutes ses lumières sans être encore arrivée à produire l’évidence. Pourtant, après une discussion qui a eu pour résultat de renvoyer à des origines différentes et postérieures à peu près tout ce qui dans les quatre Évangiles a servi de texte à la théologie chrétienne, l’exégèse de notre temps a conservé presque d’un commun accord, comme enseignement propre du Christ, ce qu’un des successeurs des apôtres, Papias, avait appelé les λόγια, comprenant le sermon sur la montagne, la collection des paraboles, enfin toutes les pensées morales éparses çà et là dans les synoptiques, où semble se révéler la pensée propre et comme l’âme elle-même du Christ. Que l’on pense avec la libre critique que ce fut là toute la doctrine du Christ, ou que l’on persiste à croire, avec la théologie orthodoxe, catholique ou protestante, que le dogme entier, dans sa partie théologique aussi bien que dans sa partie morale, est déjà dans les trois premiers évangiles, il est certain que la doctrine des λόγια est la seule partie vraiment explicite, claire et catégorique du dogme primitif. Tout le reste, alors même qu’on en reconnaît l’authenticité plus que douteuse, n’est, de l’aveu des orthodoxes, que le germe d’une doctrine morale et théologique qui se développera ultérieurement sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, disent les uns, sous l’influence de la tradition hébraïque et de la sagesse grecque, disent les autres.

Cet enseignement de Jésus suffit-il à constituer un dogme nouveau? C’est ce qu’il est difficile d’admettre pour peu que l’on songe à la richesse, à la profondeur, à la complexité du dogme chrétien, embrassant dans son encyclopédique synthèse à peu près tous les problèmes moraux, théologiques et même cosmologiques que la philosophie antique avait posés. Quelques maximes de morale éternelle et universelle sur l’amour de Dieu et du prochain, sur l’oubli des injures, sur la justice, sur la charité, sur la pureté de cœur, sur l’exaltation des conditions humbles, des vertus douces, des pensées simples, quelques charmantes ou touchantes paraboles sur la pratique de ces maximes ne font point un dogme dans l’acception rigoureuse du mot. Jésus le sentait bien, et c’est pour cela qu’il a dit : « Je ne viens point détruire la loi, mais l’accomplir. » Ce qui