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plus d’argent se perd et se perdra de la sorte que par le choix d’un mauvais avocat.

Mais, dira-t-on, c’en sera fait de la science juridique. — Comme si c’étaient les examens officiels qui la font fleurir ! En Angleterre, avant qu’on eût introduit, il y a douze ans, un examen final facultatif, les épreuves que subissait le barrister consistaient à dîner de temps en temps au local de la corporation. Est-il un pays cependant qui ait produit plus d’avocats éminens et faisant plus grand honneur à la profession? L’enseignement de la physique, de la chimie, de la géologie, de la philologie et de tant d’autres sciences n’aboutit pas à un examen imposé par la loi. Ces branches des connaissances humaines sont-elles plus délaissées que le droit? sont-elles moins approfondies? y a-t-on fait moins de progrès? Les résultats sont là qui répondent. J’avoue n’avoir jamais trouvé une raison vraiment sérieuse pour continuer à exiger un brevet à l’entrée de la carrière du barreau. En Belgique, l’opinion publique ne tardera pas à en exiger la suppression. Déjà les deux journaux les plus importans du pays, représentant les deux nuances du libéralisme, l’Indépendance belge et l’Echo du parlement, se sont prononcés dans ce sens. On peut s’étonner qu’un pays qui, dès 1830, a osé adopter des libertés aussi périlleuses en apparence que celles de la presse, de l’enseignement, de l’association sans restriction aucune, ait cru devoir prendre cette illusoire précaution des diplômes du doctorat en droit. Comment! vous avez assez de confiance dans le bon sens des citoyens pour remettre à leurs votes la direction de la chose publique, et vous craignez de leur laisser le libre choix d’un conseil quand il s’agit de leurs intérêts privés! Vous les supposez à la fois capables de choisir un législateur, incapables de se choisir un avocat! Quelle contradiction ! Dans le premier cas, un mauvais choix peut entraîner la perte du pays; dans le second cas, il ne peut léser que celui qui aura manqué de discernement. Il est pourtant bien évident qu’un individu verra plus clair dans ses propres affaires que dans celles de l’état. Ainsi la tutelle officielle est moins nécessaire dans la sphère privée que dans celle de l’intérêt public.

Maintenant, si l’on conserve les diplômes, au moins pour les médecins, reste à voir qui les délivrera. Il y a de bonnes raisons pour réserver ce droit aux facultés de l’état. En Belgique, ce système a été défendu avec beaucoup d’énergie par l’université de Gand[1], et voici à peu près le résumé des argumens qu’elle invoquait. — S’assurer si ceux qui veulent pratiquer la médecine ou le droit ont les connaissances nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou

  1. Rapport sur l’état de l’instruction supérieure présenté aux chambres législatives le 19 décembre 1853 par M. Piercot, ministre de l’intérieur, p. 362.