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ethnographiques. Dans l’immense majorité des cas, elle ne repose que sur des erreurs ; elle est certainement bien plus propre à éterniser l’esprit de guerre et de haine qu’à engendrer la paix universelle promise en son nom. Tout au moins devrait-elle être faite avec loyauté. La sécurité de tous, celle même des victorieux d’aujourd’hui, est évidemment à ce prix. C’est cette loyauté qui est manifestement méconnue par la manière dont on a traité le Danemark. Je ne veux même pas parler de cet article 5 du traité de Prague si ouvertement violé. Alors même qu’il n’existerait pas, les votes du Slesvig, la ténacité avec laquelle ils sont maintenus, devraient dicter la marche à suivre. Ces votes ont nettement montré dans le duché deux populations distinctes : l’une où dominent les tendances et les affections allemandes, l’autre toute danoise de cœur comme de race. Sous peine de mentir à tout ce qu’elle invoque pour elle-même, l’Allemagne doit accepter le partage et le provoquer au besoin. Par-dessus tout, elle se doit de repousser et de flétrir les odieuses mesures qui pèsent sur le Slesvig, et qu’ignore, on aime à le croire, le vieux souverain au nom duquel elles sont prises. Introduire de force au sein d’une population des juges, des instituteurs, des prêtres qu’elle ne peut comprendre et dont elle ne peut être comprise, rendre ainsi l’administration de la justice illusoire et empêcher un peuple entier de s’instruire, de prier en commun, est un crime qui doit révolter le philosophe autant que le croyant, l’homme de cœur de tout pays.

Si, oubliant sa vieille et proverbiale honnêteté, l’Allemagne fermait les yeux, si elle sanctionnait par son silence la violation de la loi qui préside à sa propre réorganisation, si les libéraux de la confédération germanique, infidèles à leurs propres principes, continuaient à méconnaître les droits les plus sacrés des races même vaincues, n’y aurait-il pas là de quoi justifier les craintes qui nous ont été maintes fois exprimées? — Ce n’est pas, nous disait-on, le Slesvig danois seul qui est en cause, c’est le Danemark tout entier. Que seraient 200,000 âmes de plus pour la grande Allemagne? Ce qu’elle veut, ce sont toutes nos populations maritimes, celles du Jutland, de la Fionie, de Seeland. Le continent ne suffit pas à son ambition éveillée; elle comprend trop bien qu’à notre époque un peuple n’est réellement grand et fort qu’à la condition d’avoir sa part de la domination des mers. Voilà pourquoi l’Allemagne ménage avec soin cette pomme de discorde entre elle et nous, prête à saisir le moindre prétexte pour faire un dernier pas, pour pousser ses frontières jusqu’au Sund, et l’Europe, qui nous a abandonnés une fois, nous abandonnera sans doute encore.

Après tout, ces craintes ne sont peut-être pas sans fondement. La