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Quoi qu’il en soit des origines, il est certain qu’au temps des klephtes, c’est-à-dire avant 1828, les Hellènes et les Vlaques eurent également les Turcs pour ennemis ; il est certain aussi que des Albanais ou Aroanais servirent souvent contre les Hellènes sous les drapeaux du sultan. Quand on examine cette longue série d’escarmouches qui finit par ressembler à une guerre, on s’aperçoit que les Hellènes luttaient surtout pour l’indépendance et les Albanais pour le butin. Il était donc indifférent à ces derniers de piller les Hellènes ou les Turcs, pourvu que leur proie fût une récompense suffisante de leurs périls. Après la guerre, plus d’un Grec du royaume demeura en relation avec ses anciens compagnons des montagnes, et s’en servit comme d’un instrument d’action dans la nouvelle société politique qui s’organisait. J’ai connu autrefois dans Athènes des députés et des ministres qui ne faisaient point mystère d’user de ces moyens d’influence, que l’Europe ne connaît guère et qui toujours l’étonnent. J’ai vu là mourir un ministre qu’au temps de M. Guizot le parti français s’efforçait de faire passer pour le premier homme d’état de l’Europe. Tout le monde savait qu’il employait des brigands à son service, et il y a aujourd’hui dans Athènes un homme déjà vieux, que je ne veux pas nommer, et qui pourrait écrire là-dessus de fort curieux mémoires, car il était le médiateur de ce ministre fameux. Comment s’étonner qu’il reste encore aujourd’hui quelques traces d’aussi anciennes coutumes, et que l’action klephtique n’ait pas tout à fait disparu de la politique intérieure de la Grèce ? Dans un travail publié par la Revue il y a un an[1], je disais qu’il fallait renoncer à une politique de pachas, et que le temps du palicarisme était passé, L’affaire d’Oropos, l’existence prolongée de bandes comme celles de Spanos, de Maghiras et de tant d’autres, aidées ou tolérées par des Hellènes, me permettent d’affirmer que, si l’ère du palicarisme ne finit pas dès ce jour, c’en est fait de l’indépendance et de l’existence de la Grèce.


III

Un peuple n’est pas ému comme vient de l’être le peuple hellène sans qu’il en résulte quelque chose, La mort des quatre étrangers d’Oropos a été un deuil national. Non-seulement le roi, organe du sentiment public, a suivi le convoi des victimes et assisté avec la reine, vêtue de noir, aux services religieux, mais une foule de personnes ont spontanément pris le deuil, et j’en ai vu beaucoup pleurer comme si elles avaient perdu des frères ou des époux. Ce sentiment a éclaté dans tous les rangs de la société hellénique et dans toutes les parties de la Grèce. Quand le temps dû aux innés a été

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1869.