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administrer ce que M. Jérôme David a eu la franchise ; d’appeler, dans un langage plein de réminiscences du bon temps ; un premier avertissement. Elle ne veut rien précipiter, elle croit pouvoir choisir son heure, et en attendant que cette heure du grand coup au sonné, elle se contente d’user le ministère, de le surprendre dans le flagrant délit de ses trop fréquentes inconséquences, de le dépasser en libéralisme quand il est conservateur, ou de lui reprocher de livrer toutes les garanties conservatrices quand il est libéral, de lui faire en un mot la vie dure et impossible. Le reste viendra tout seul ; on compte sur les ressources de ce régime parlementaire, qu’on accuse le cabinet d’altérer lorsque dans une pensée d’intimidation, il pose des questions de confiance dont on n’a que faire. M. Émile Ollivier, ce nous semble, aurait pu répondre avec quelque autorité de raison, sans se donner l’air de renouveler la scène du Dépit amoureux ; il aurait pu dire que ce qui n’est pas précisément parlementaire, c’est d’appuyer matériellement un cabinet à qui on refuse dans le fond du cœur tout concours moral, c’est de prendre sa part d’un vote qu’on appelle soi-même une fiction, c’est de paraître prolonger par tolérance la vie d’un ministère qu’on s’efforce de détruire en détail, c’est enfin de combattre un gouvernement par la parole et d’avouer par son vote l’impuissance de le remplacer.

Telle est en effet la vraie question aujourd’hui. La droite a beau se nourrir d’illusions, elle ne peut pas remplacer le ministère actuel ; elle ne le pourrait qu’en compromettant sérieusement l’œuvre tout entière d’une année. Elle n’a pas dépouillé encore assez la vieille robe ; elle aurait la meilleure volonté qu’on ne la croirait pas : elle passerait pour une résurrection du régime de 1852, on serait persuadé qu’elle ramène dans les conseils du gouvernement des pensées de réaction, qu’elle veut revenir, au-delà du 2 janvier. Et en réalité n’est-ce point cela ? Que reproche-t-on tout haut à M. Émile Ollivier ? On l’accuse de ne rien comprendre à la situation, de ne pas voir que le plébiscite a tout changé, qu’il a délié le ministère des engagemens contractés, par les programmes des deux centres ; que le 2 janvier n’est plus rien, que le vote du 8 mai a effacé tout ce qui s’est fait depuis un an pour replacer l’empire dans l’intégrité de sa puissance. Voilà ce qui se dit, et si la droite revenait en ce moment au pouvoir, elle serait emportée par la logique de ses antécédens, de ses habitudes, de ses préférences ; si elle rentrait aujourd’hui aux affaires, ce serait une sorte de déchirement du vote complexe du 8 mai, et qu’elle le voulût ou qu’elle ne le voulût pas ; elle représenterait l’exclusion ou l’ajournement de toute une partie du plébiscite, justement de cette partie libérale qui a fait accepter et a popularisé cet acte. Nous ne voulons certes pas dire que la droite n’a plus aucun rôle dans le jeu constitutionnel, qu’elle ne peut pas à un jour donné revenir au pouvoir. Pour le moment, elle n’en est pas là, et, si elle ne s’arrête pas sur le chemin où elle semble s’engager, elle