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térêts ? En attendant, son commerce était entravé jusque près de ses côtes par les croisières anglaises. La contrebande à peu près avouée, mais enfin la contrebande avec ses difficultés et ses immoralités, était sa seule ressource sérieuse. Si du moins à l’intérieur on eût trouvé des compensations ! Là encore on était asservi. Un corps d’armée français stationnait au cœur même du pays. Au premier moment de l’invasion, les soldats français s’étaient fort bien conduits. J’ai encore pu causer avec des vieillards qui, enfans, avaient vu entrer dans Amsterdam les bataillons de Pichegru. Ils étaient arrivés affamés, exténués, sans souliers, couverts de haillons, par un hiver des plus rigoureux. Ils avaient défilé le long des rues d’une des plus opulentes villes du monde. On eût presque excusé un peu de rapine, et la discipline avait été rigoureusement observée. Ces soldats appartenaient pour la plupart à la dernière réquisition décrétée par le directoire. C’étaient de joyeux enfans, d’honnêtes citoyens sachant ce que c’est qu’un honnête foyer, bons républicains sans fanatisme, opposant aux intempéries du climat leur bonne humeur française et reconnaissans des soins que la bourgeoisie, prise de pitié, leur prodiguait. Un seul d’entre eux, pauvre diable à peu près nu, ne put résister à la tentation de dérober quelques mouchoirs à l’étalage d’un boutiquier. Le général le fit passer par les armes, et les sympathies publiques furent pour ce malheureux ; si l’on eût été prévenu, on eût de toutes parts demandé sa grâce. Cette armée fut trop tôt remplacée par d’autres corps, et les Hollandais s’aperçurent qu’abusant de la lettre des traités, l’administration française envoyait à chaque instant de nouvelles troupes s’équiper à leurs frais, pour les rappeler dès qu’elles étaient habillées. D’ailleurs l’esprit de l’armée française changeait à vue d’œil. Les guerres d’Italie surtout donnèrent aux soldats de la république ces habitudes inciviles, ce mépris du bourgeois, ces goûts de maraude qui les firent bientôt détester. À mesure que cet esprit pénétra dans l’armée, le séjour prolongé des troupes françaises en Hollande devint une calamité. Les généraux firent plus que donner l’exemple aux soldats. La vénalité qui rongeait le gouvernement du directoire et du consulat s’étendait jusqu’à leurs représentans à l’étranger. Le ministre de France, Sémonville, se faisait payer par le directoire hollandais et spéculait effrontément à la bourse d’Amsterdam. Je tire de notes manuscrites dignes de toute confiance, provenant d’un employé supérieur du ministère des affaires étrangères, que ce diplomate ajourna mainte fois la remise de dépêches pressantes de son gouvernement pour ne pas compromettre le succès d’opérations de bourse commencées. Cette corruption se propageait parmi les membres eux-mêmes du gouvernement national. Quelle déception ! On avait bien des griefs contre l’ancien patriciat ;