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sait l’état, on comptait dans l’armée anglaise 20,000 soldats sur 35,000 qui ne savaient ni lire ni écrire, et 13,000 qui savaient lire seulement ; or l’Angleterre ne veut pas rester un des pays les plus arriérés de l’Europe au point de vue de l’instruction. Les Anglais connaissent le mal, ils songent sérieusement à le guérir. Leur grand sens pratique les préserve de ces programmes sonores et creux qui vont contre ce qu’ils semblent promettre. Ils ne se sont pas attardés autour de la question de la gratuité absolue, et le bill de lord Forster, bien différent du projet de loi de M. Bourbeau, ne demande que l’instruction obligatoire.

Chez nous, les partisans de l’instruction gratuite et obligatoire cachent volontiers ce qu’il y a de désagréable dans le second mot par ce qu’il y a de séduisant dans le premier, bien convaincus qu’une fois la première réforme obtenue, la seconde devrait nécessairement la suivre ; mais, si l’obligation, qui a de glorieux parrains dans notre histoire, peut s’appuyer sur des principes d’une grande valeur, la gratuité absolue, de naissance beaucoup plus récente, ne peut invoquer pour elle aucune base théorique solide, et conduit à des conséquences inadmissibles.

Pendant le moyen âge, l’église, alors seule dépositaire et dispensatrice de tout savoir, pratiqua largement la gratuité de l’instruction, mais seulement à l’égard des pauvres gens. Nous n’en voulons pour preuve que le titre même des écoles de charité et cette règle : ab iis vero qui sunt in re tenui et angusta nil omnino accipiatur, qui affirme par sa forme exceptionnelle la règle générale qui était suivie. Il en fut de même jusqu’en 1789. Le principe de la gratuité absolue de l’enseignement primaire fut admis pour la première fois par la constituante dans cette fièvre de centralisation qui annihilait l’individu devant l’état. « Les enfans, s’écriait un peu plus tard Danton, appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parens ! » C’est parce que nous n’adoptons pas cette maxime, c’est parce que nous sommes jaloux des droits de l’individu, soucieux de l’accomplissement de ses devoirs, que nous protestons contre un système qui conduit à l’absorption de la famille par l’état.

Nous prétendons prouver que la gratuité relative instituée par la loi de 1833, si elle est largement accordée aux indigens, est seule juste et seule morale. Le principe de la gratuité absolue au contraire, qui leurre quelques esprits par une apparence généreuse, et qui est employé par quelques autres comme un instrument de popularité dont ils connaissent et dissimulent les vices, n’amènerait que des résultats injustes, immoraux, et priverait l’état de ressources qui pourraient être employées d’une manière bien plus féconde dans l’intérêt de l’instruction. Et d’abord il faut bien s’entendre sur le mot gratuité. L’état ne peut rien donner