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l’ambassadeur pour lui faire trouver le traité anglais conclu, signé et ratifié à son débotté. On prétend même qu’il assaisonna cette communication d’un trait épigrammatique des moins raffinés. A sa qualité de grand seigneur, le duc joignait celle d’amateur littéraire, auteur de quelques écrits de bon goût qui lui avaient valu l’entrée à l’Académie française. Frédéric II se fit, dans sa première audience, réciter par lui quelques vers de son cru, puis il ajouta en riant : « Je vous montrerai sous peu, moi aussi, une pièce de ma façon. » Cette pièce n’était autre que le fameux traité, produit ainsi grossièrement au jour sous les yeux, presque à la barbe de l’envoyé extraordinaire, qui était en même temps, d’un commun accord, le plus galant homme de son pays et de son temps[1].

Il est donc certain que Frédéric eut son parti pris dès le premier jour, et le traité de Westminster, avec toutes les suites politiques qui en découlèrent, demeure son œuvre propre, dont il répond seul devant l’histoire. La vérité vient ainsi, j’en suis fâché pour la morale, à la décharge de Mme de Pompadour. Maintenant est-il nécessaire de fouiller les archives, d’écouter à la porte des cabinets et même des boudoirs, et de se perdre en conjectures pour deviner quels mobiles influèrent sur les acteurs de ce drame historique, et se rendre ainsi un compte naturel de leurs actes ? Il me semble au contraire qu’il suffit de jeter les yeux sur une carte et d’interroger le cœur humain. Les comparaisons les plus vulgaires ne sont pas les moins saisissantes. Les rapports de la France et de la Prusse dans cet instant décisif m’ont toujours paru ressembler à ce que deviennent aisément les relations d’un tuteur et d’un pupille quand, l’un ayant vieilli et l’autre grandi, le mineur redemande ses comptes et sa liberté. Au fond, le lien que le traité de Westphalie avait établi entre la France et les membres du corps germanique, et qui s’étendait à la Prusse comme à tout autre, était beaucoup moins un lien d’amitié que de protection. Les petits états d’Allemagne cherchaient un point d’appui en France contre l’ambition envahissante de la maison d’Autriche, qui, peu satisfaite de

  1. Ces pages étaient écrites quand une communication pleine de bienveillance m’a fait connaître les Mémoires entièrement inédits du cardinal de Bernis, écrits par lui dans sa retraite pour l’instruction de sa famille. C’est un document très curieux, et dont la publication nous paraît impérieusement réclamée par l’intérêt de la vérité historique. On y trouve le seul récit détaillé et complet qui existe, à ma connaissance, des négociations secrètes qui ont précédé les traités de Westminster et de Versailles. Il est clair, comme on le soupçonnait déjà, que Duclos avait emprunté aux confidences du cardinal la plupart des faits de sa narration, auxquels il a donné une forme littéraire et dramatique qui dénature en plus d’un point la vérité. En particulier, la prétendue proposition de concours faite par le roi de Prusse et refusée par la France, suivant Duclos, n’est mentionnée nulle part, et la sincérité de Louis XV dans le désir de rester en bonne intelligence avec la Prusse ne parait pas douteuse depuis le commencement de la négociation jusqu’à la fin.