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ans d’expérience à toute la politique de l’Allemagne, connaissant à fond la force de toutes les armées et le ressort de tous les cabinets, ayant fait ses preuves d’habileté, de résolution et surtout de fidélité dans la garde d’un secret, eût-il été un meilleur agent à employer que les instrumens dont se servit Mme de Pompadour : un vieil intendant comme Rouillé et un poète comme l’abbé de Bernis. En tout cas, le comte de Broglie lui-même étant d’avis de l’opération, on ne risquait rien d’écouter ses conseils et de le mettre dans la confidence.

Il n’en fut rien cependant : le fidèle serviteur que le roi avait bien jugé digne d’être chargé d’une mission politique ignorée de tous ses ministres, avec qui il n’avait pas dédaigné de conspirer contre son propre cabinet, fut tenu à l’écart, comme le premier venu, d’une négociation qui touchait de si près aux intérêts mêmes qu’on lui avait confiés. Pour l’admettre à ce nouveau secret, il aurait fallu commencer par avouer à Mme de Pompadour la nature des services analogues qu’il avait rendus, et les titres qu’il s’était acquis à la reconnaissance. Louis XV ne l’osa pas ou n’y songea même point. Trois mois durant, le comte de Broglie restait à Dresde sans instructions ni officielles ni secrètes, apprenant comme tout le monde par le bruit public que les entrevues du comte de Stahremberg et de M. de Rouillé à Versailles étaient quotidiennes, assiégé de questions auxquelles il ne pouvait répondre, d’inquiétudes qu’il ne pouvait calmer, et tendant l’oreille au vent pour recueillir l’écho de vagues rumeurs. Ce ne fut que le 25 mai que M. de Rouillé se décida enfin à lui dire un mot du traité déjà signé à Versailles trois semaines auparavant. « Je vous confie, monsieur, lui écrivait-il (la confidence devançait de huit jours à peine la publication), que le roi a conclu, le 1er de ce mois, avec l’impératrice-reine de Hongrie et de Bohême, un traité de neutralité et un traité d’alliance purement défensif… C’est un événement auquel le bruit public a dû vous préparer… L’alliance que les deux cours viennent de contracter vous surprendra d’autant moins que vous en avez vous-même eu l’idée, et que dans la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 13 février vous la portiez plus loin[1]. »

Cette remarque dut peut-être consoler le comte de Broglie en lui faisant voir (ce dont il aurait pu douter jusque-là) qu’au moins le ministre s’était donné la peine de lire sa lettre ; mais, quand il eut en main l’instrument même des deux traités annoncés, j’imagine qu’il fut tenté de refuser le compliment, car il lui suffit de les

  1. M. de Rouillé au comte de Broglie, 25 mai 1756. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)