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ceux qui répètent cette phrase stéréotypée se sont donné la peine de lire les documens qu’ils relatent avec ce degré soit de sincérité, soit d’intelligence.

Soigner sa renommée était utile, mais il fallait pourtant finir par agir. Aussi bien Frédéric apprit-il, dans les derniers jours de septembre, que les troupes autrichiennes se mettaient en marche pour venir tirer de peine le monarque saxon. Ce n’était pas sans hésitation que l’impératrice se décidait à éloigner son armée de sa capitale, et le commandant supérieur, le feld-maréchal Braun, ne se montrait guère pressé non plus de quitter la Bohême, théâtre qui lui était familier et où il avait préparé de longue main son plan d’opération, pour s’avancer dans un pays qu’il connaissait peu. Avec une insistance qui pouvait faire mal augurer de son coup d’œil militaire, il pressait le roi Auguste, par des messages répétés, de quitter sa retraite fortifiée pour venir, lui et son armée, chercher un asile au camp impérial. Enfin, voyant qu’il ne gagnait rien et qu’une influence supérieure à la sienne arrêtait l’effet de ses conseils, il lui avait bien fallu se résoudre à entrer en marche ; il accourait, et Frédéric n’avait plus que le temps de se porter à sa rencontre, s’il voulait éviter une jonction qui l’eût perdu.

Il prit le parti de diviser ses troupes en trois corps d’armée. L’un, qu’il commandait lui-même, devait l’accompagner dans sa pointe au-devant du maréchal Braun. L’autre, confié au maréchal Keith, restait en observation sur la frontière pour assurer les derrières du corps expéditionnaire. Le troisième enfin, dirigé par le prince Maurice d’Anhalt et le margrave Charles de Brandebourg, était chargé de serrer l’armée saxonne d’aussi près qu’il serait possible pour lui interdire toute communication avec le dehors et tout ravitaillement de vivres et de munitions. Ce n’était pas un blocus proprement dit, car, si l’accès du camp de Pirna pouvait être fermé du côté du fleuve, les défilés des montagnes auxquelles il s’appuyait restaient toujours ouverts aux cavaliers et aux piétons, et les messages, tant du maréchal Braun que de la reine et du comte de Broglie, passaient librement par cette voie ; mais c’était assez pour rendre la vie pénible et pleine d’angoisse à des soldats mal pourvus et à un prince très délicat sur ses aises.

L’Autriche était en mouvement, que faisait la France ? D’heure en heure, avec une impatience croissante, le comte de Broglie attendait le retour de son courrier. Le 23 septembre, il n’avait encore aucune nouvelle. « Il faut qu’on soit bien sûr de moi, écrivait-il à M. Tercier, pour me laisser dans cette ignorance. Cela peut être flatteur, mais cela est terriblement incommode. » Enfin, le 27, arrivaient toutes ensemble les réponses à tous les envois : d’abord une lettre très affectueuse du roi de France au roi de Pologne,