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table pour décharger tout à l’aise son cœur et sa bile avec le prince de Conti. Ce qui achevait de l’exaspérer, c’est que son courrier, qui n’était autre que son secrétaire et son confident, M. de Linan, lui avait rapporté confidentiellement qu’il avait été fort question de lui à Versailles pour l’ambassade de Vienne, mais que le prince s’opposait à sa promotion afin de conserver à ses propres intérêts en Pologne des services dont il tirait si bon parti. L’idée d’être sacrifié, avec les grands projets dont son âme était pleine, à une sotte chimère lui faisait bouillir le sang dans les veines.

« Je vois parfaitement, monseigneur, disait-il, que le parti que sa majesté polonaise a pris ici n’a nullement votre approbation. Je ne dissimulerai cependant pas que j’ai eu la plus grande part à cette détermination… N’ayant nul ordre sur un cas imprévu, ce qui était assez naturel, et n’ayant qu’une communication très imparfaite du plan général de la politique, lorsque sa majesté prussienne a fait une invasion inouïe, mais inattendue seulement pour la forme, j’ai examiné ce que cet événement pouvait avoir de relatif aux intérêts de sa majesté, et j’ai cru apercevoir clairement que l’invasion de la Saxe n’était qu’un accessoire, mais essentiel, au projet que le roi de Prusse avait formé d’attaquer l’impératrice-reine, et de la forcer par des succès rapides à une paix prompte avant que le secours de ses alliés la mît en état de résister à son ennemi… En partant de ce principe incontestable, et en jugeant un peu militairement du camp saxon et de la possibilité d’y tenir avec 17,000 hommes contre une armée encore plus nombreuse que la prussienne, toute mon attention a dû se porter à persuader le ministre saxon d’y faire rassembler toutes les troupes de son maître… Et si cette position, qui peut empirer pour sa majesté prussienne, se soutient seulement quelque temps, nous aurons gagné deux mois, l’impératrice-reine aura rassemblé 120,000 hommes en Bohème, la Russie en aura 70,000 en Prusse, et notre contingent sera près d’arriver à sa destination. Je compte donc, monseigneur, que le parti que j’ai conseillé peut devenir, sauf les événemens de guerre dont personne ne peut répondre, l’époque heureuse d’où suivront tous les avantages que nous aurons à désirer… Quant au plan pour lequel votre altesse sérénissime paraît pencher, je la supplie de me pardonner si je lui dis que ce ne saurait être sérieusement qu’elle regarde comme praticable la proposition de licencier l’armée au moment qu’un ennemi tel que le roi de Prusse entre dans un pays… Serait-il possible que sa majesté eût voulu que son ambassadeur eût proposé un parti aussi honteux au père de Mme la dauphine ?… » Je n’aurais jamais pu faire une pareille proposition sans un ordre clair et exprès à cet égard… Et j’aurais cru manquer au plus essentiel de tous mes devoirs, si, sans ordre formel, j’avais