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opposer. Je vous prie aussi, lui a ajouté l’ambassadeur, de lui dire que vous avez trouvé ici grand nombre de soldats qui veulent se loger dans une maison où j’habite… Vous sentez combien cela est contraire à ce qui est dû aux ministres étrangers, et j’espère que vous voudrez y mettre ordre incessamment. »

« M. Cocey est en effet revenu vers les trois heures après-midi, et a dit à l’ambassadeur que le roi son maître ne changeait jamais les ordres qu’il donnait, et qu’il voulait absolument que le sieur Hennin partît avec lui tout le plus tôt qu’il serait possible ; il a ajouté que les logemens étaient si rares dans la ville de Dresde qu’on ne pouvait en exempter aucune maison, pas même celle des ministres étrangers, et qu’ainsi il priait l’ambassadeur de céder quelques-unes des chambres de ses gens pour loger les soldats prussiens. Sur quoi, il lui a répondu : « Monsieur, je n’ai rien à ajouter et ne peux rien changer à ce que j’ai eu l’honneur de vous dire sur la demeure de mon secrétaire auprès de la reine de Pologne. Sa majesté prussienne sera la maîtresse de faire ce qu’elle jugera à propos. Je le laisserai sous la protection du droit des gens. Il m’est également impossible de partager mon logement avec des soldats, ce qui serait contre toute décence et toute règle. C’est à vous d’user de violence, si vous croyez le devoir faire. Je l’attends avec tranquillité, mais certainement je n’aurai pas l’air d’avoir consenti à une chose si irrégulière, et je réclame contre autant qu’il est en mon pouvoir. »

« C’est ainsi qu’a fini cette journée. M. Cocey s’est déterminé à faire établir chez l’hôtesse de la maison, qui loge au troisième étage, vingt ou vingt-deux Prussiens[1]. »

Et ce fut seulement six jours plus tard, le 19 novembre, après s’être librement promené dans la ville pendant ces six journées, pour constater qu’aucune contrainte ne pesait sur lui, que le comte de Broglie, averti par une lettre particulière que son congé lui était accordé, fit prendre ses passeports à l’état-major prussien. Avant de partir, il accrédita régulièrement son secrétaire, M. Hennin, auprès de la reine de Pologne, en lui laissant l’ordre de ne quitter son poste que s’il en était arraché par la violence, puis il prit la route de Prague, pour attendre dans cette ville l’expédition régulière du congé qui lui était annoncé.

« Vous jugerez, monsieur, écrivait-il à M. Durand à Varsovie en lui annonçant son départ, de l’indécence des procédés de sa majesté prussienne. Ce prince a voulu répondre au parti de dignité qu’il a

  1. Relations de ce qui s’est passé entre M. le comte de Broglie et M. le lieutenant-colonel Cocey, que sa majesté prussienne lui a envoyé. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)