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Bientôt une sinistre nouvelle vint consterner la Hollande et son roi. Un décret impérial daté de Berlin le 21 novembre 1806 inaugurait ce monstrueux système de blocus continental que Napoléon a peut-être regardé comme la plus belle conception de son génie, et qui a été en fait la cause la plus puissante de sa chute, car il exaspéra les masses du nord, il engendra les guerres interminables qui se succédèrent depuis, et rendit les revers irréparables par la coalition des intérêts matériels et des passions patriotiques, deux forces bien puissantes prises séparément, mais dont l’union est irrésistible. On sait que, par une application draconienne des règles autorisées par le droit de la guerre, Napoléon voulut interdire en France, dans tous les pays alliés de la France ou occupés par ses armées, tout commerce quelconque avec l’Angleterre. Tout produit des manufactures ou des colonies anglaises devait être confisqué et anéanti partout où l’on pourrait le saisir, à 300 lieues dans les terres comme sur les côtes. Toute lettre venant d’Angleterre ou y allant devait être interceptée et détruite, tout bâtiment ayant touché un port anglais était déclaré de bonne prise, tout Anglais saisi en France et dans les pays alliés ou soumis était prisonnier de guerre. Peu de temps après, ce système fut couronné par le décret qui déclarait confisqué tout navire neutre qui aurait subi la visite d’un croiseur anglais !

Nous n’avons pas besoin de rappeler les maux incalculables que ce défi lancé contre la nature des hommes et des choses fit tomber sur la France comme sur le reste de l’Europe ; mais il y eut des degrés dans la pesanteur du fardeau. Il est clair que les populations méridionales, sobres, peu habituées au comfortable domestique, travaillant peu, trouvant sur leur sol à peu près tout ce que réclamaient leurs besoins et leurs goûts, n’en furent pas affectées au même point que les pays du nord, qui depuis des siècles faisaient une consommation toujours croissante de denrées exotiques, qui ne savaient plus se passer de tabac, de thé, de café, de sucre, y tenaient comme les Français tiennent au pain, et s’habillaient avec les étoffes que l’Angleterre seule pouvait leur fournir abondamment et à bas prix. Le blocus continental fut une entreprise d’une rare audace, mais profondément impolitique. Son auteur cherchait à la justifier en l’opposant aux absurdes prétentions de l’Angleterre en matière de blocus maritime ; cette puissance voulait qu’une simple déclaration de son amirauté constituât un port en état de blocus réel, lors même qu’aucune force effective n’en interdirait l’entrée. Si Napoléon eût su attendre, les intolérables prétentions de l’Angleterre eussent rattaché à sa cause toutes les nations commerçantes ; mais par son système continental il devenait lui-même plus