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d’abord appartenu à ces sociétés libres qui, dès qu’il naît un abus, fondent un club ou dressent une tribune pour le combattre ; elles le tentèrent presque sans espoir tant que les tarifs, soumis à deux remaniemens, ont passé pour un engin de guerre, comme en 1861, ou pour un droit d’aubaine, comme en 1865. Dans l’ardeur de la lutte, comme dans l’ivresse du triomphe, il y avait peu de place pour la controverse. Comment s’y reconnaître en effet au milieu des fumées de poudre qui flottaient dans l’air ? Bon gré, mal gré, il fallait attendre qu’elles se fussent dissipées. D’hier seulement on en est là, et après beaucoup de temps perdu l’œuvre marche : les sociétés pour la baisse des tarifs, rares et hésitantes au début, ont grandi en influence et en nombre. On en compte dans presque tous les états, même dans ceux qui sont le plus ouvertement inféodés aux compagnies industrielles ; trois ou quatre états en ont plusieurs, parfois d’une localité à l’autre l’étiquette ne se distingue que par le nom de la ville où siège l’association. De loin en loin, un mot d’ordre est donné, et tous ces affluens se confondent dans une agitation générale qui en multiplie l’effet, comme on l’a vu pour la ligue anglaise des céréales. C’est le même esprit, et probablement ce sera la même issue. Le débat y est d’ailleurs très vif et sans ménagemens pour les personnes : non pas qu’on ne rende à la majorité du congrès l’honneur qui lui revient pour le grand acte de délivrance auquel ses membres ont concouru ; mais on dénie à tous et à chacun le droit de prélever plus longtemps sur le sang versé une dîme pour eux ou pour des tiers. On leur dit nettement que les glorieux ancêtres, Washington, Thomas Jefferson, n’en usaient point ainsi, ne mêlaient pas leur petit ménage avec les affaires de l’état, et eussent rougi d’être nommés les pères du tarif et non les pères de la république.

Ce n’est pas tout. À ces sociétés libres se sont joints, dans des sommations non moins vives, des corps moraux ayant qualité pour cela, des villes, des ports de commerce, des états même, et le plus considérable de tous, New-York. Le gouverneur de cet état est bon à entendre, il donnera la mesure de l’accent qu’a pris la plainte. « Je proteste contre le régime de faveur qui prévaut dans notre tarif de douanes, » s’écrie-t-il dans son dernier message adressé à la législature, c’est-à-dire dans un document dont tous les termes doivent être pesés, et il ajoute qu’en réalité et à tenir les choses pour ce qu’elles sont, on a sacrifié à cette vaine et fausse idole, — le tarif, — ce qu’il y a de plus consistant dans la fortune américaine : le commerce maritime, le débouché des denrées rurales, la faculté dont jouissait le consommateur régnicole de s’approvisionner le moins onéreusement possible et partout où il trouvait convenance à