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héréditaire, à la condition qu’ils missent la terre en valeur. D’après lord Dufferin, le droit est né tout simplement de la générosité des land-lords, qui n’ont jamais exigé le plus haut fermage que la concurrence leur permettait d’obtenir. La première explication me paraît la plus probable ; elle peut invoquer en sa faveur la façon dont des droits semblables sont nés dans le reste de l’Europe. Lord Dufferin et beaucoup d’Anglais condamnent le tenant-right. Il entrave, dit-il, la libre disposition du sol, et il absorbe la plus grande partie des ressources du fermier entrant, lequel ferait beaucoup mieux de les consacrer, comme le fermier en Angleterre, à rendre la culture plus intensive par l’emploi d’un plus fort capital ; mais l’expérience prouve les avantages du tenant-right : partout où il existe, la culture est mieux entendue qu’ailleurs. Ce fait ne s’observe pas seulement dans l’Ulster[1], où on pourrait l’expliquer par d’autres causes ; il est aussi constaté dans les autres provinces. Un exemple très concluant est celui qu’offre l’estate de lord Portsmouth. Pendant que le domaine était administré par la court of chancery, le tenant-right y fut introduit. Il produisit d’excellens résultats, et le lord actuel, cité partout comme un maître modèle, loin de s’y opposer, en favorisa l’extension en accordant libéralement de très longs baux. Il s’en est suivi que le domaine est parfaitement cultivé, que les tenanciers sont heureux, et que le revenu a doublé. Il est difficile de condamner un système qui est aussi avantageux à tout le monde.

Le tenant-right favorise la bonne culture parce qu’il donne de la sécurité au tenancier, qui ne peut être expulsé sans compensation. Il est presque à moitié propriétaire, et il n’y a point de plus fort stimulant au travail que la propriété. Le fermier entrant, qui achète le good will, n’a plus, il est vrai, autant d’argent à mettre dans sa ferme ; mais il paie un fermage moins élevé, et touche ainsi l’intérêt de son capital. Il est garanti en outre contre le rack-rent, contre la concurrence à outrance, et il peut ainsi améliorer la terre sans risquer de perdre ses améliorations ou d’en payer l’intérêt par l’augmentation du fermage. Celui qui achète le tenant-right est déjà un capitaliste ; il est propriétaire, il en a les sentimens, la dignité ; il échappe donc à cette abjecte misère, cause première de la subdivision des locations et de l’excès de la population. Le

  1. Dans l’Ulster, du temps d’Arthur Young, en 1779, le revenu foncier s’élevait à 990,000 livres sterling ; en 1869, il était de 2,830,000. Dans le reste de l’Irlande, il montait en 1779 à 5 millions, et en 1869 à 9,200,000 livres sterling. De ces chiffres, il résulte que dans les comtés où le tenancier a le moins de sécurité et le landlord le plus de pouvoir, le revenu n’a que doublé, tandis qu’il a triplé dans la province où le tenancier avait le plus de sécurité et le landlord le moins de pouvoir. Voyez le discours de M. Gladstone du 15 février 1870.