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terre fertile, et que la présence des condamnés assurait aux cultivateurs la main-d’œuvre à bon marché, des colons arrivèrent bientôt ; ils défrichèrent le sol, bâtirent quelques maisons ; c’étaient des hommes à ne pas se laisser rebuter par de rudes épreuves, ils finirent par prospérer. Les moutons et les bêtes à cornes réussirent aussi bien qu’en Australie ; ce fut une source de richesses. La population s’accrut si vite que les ministres de la reine jugèrent bon, en 1825, d’y établir un gouvernement séparé, subordonné pour la forme à celui de la Nouvelle-Galles du Sud, indépendant en réalité, et dont le chef portait le titre de lieutenant-gouverneur. Ce gouvernement était semblable à ceux dont jouissaient les autres colonies à la même époque, c’est-à-dire que le lieutenant-gouverneur possédait une autorité à peu près absolue. Ce fonctionnaire ne relevait que du ministre ; or, comme il fallait dix-huit mois pour recevoir de Londres une réponse aux lettres que l’on y envoyait, il était facile en attendant d’agir à sa guise. Il existait, il est vrai, un conseil exécutif, composé des principales autorités : l’armée y était représentée par le commandant des troupes, l’église par l’évêque, la justice par le magistrat le plus élevé en grade. Assistée d’un certain nombre de membres choisis par le gouvernement parmi les colons, cette assemblée se transformait en conseil législatif. C’est à peu près la constitution que la Grande-Bretagne donne k toutes ses colonies naissantes.

En 1SM, la transportation fut abolie dans la Nouvelle-Galles du Sud à la suite des réclamations énergiques de la population honnête. La terre de Van-Diemen devint le seul réceptacle des convicts que l’Angleterre envoyait par milliers aux antipodes. C’était plus que l’on n’en pouvait employer aux travaux publics et dans les stations agricoles. Les Tasmaniens se plaignirent à leur tour de cette invasion de condamnés dont ils se trouvaient embarrassés. Au moment où sir William Denison arrivait au siège de son gouvernement, la population de l’île s’élevait à 66,000 individus, dont 29,000 convicts. Ceux-ci étaient placés en partie comme domestiques chez les cultivateurs, d’autres étaient employés aux travaux publics, le reste était détenu dans les prisons ou dans les pénitenciers agricoles. Cependant, malgré cette proportion colossale de criminels, l’état social n’était pas trop menacé. On circulait librement dans toute l’île sans se croire obligé de porter des armes, et la ville de Hobartown, port de mer et chef-lieu du gouvernement, était parfaitement paisible. Ce calme était dû à une police nombreuse et bien organisée, dont les condamnés eux-mêmes formaient l’élément principal.

Au surplus ce que l’on pensait de la transportation variait assez communément d’une année à l’autre, suivant les circonstances.