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Quoique composé de membres élus par la couronne, le conseil législatif n’était pas non plus une assemblée facile à conduire. Tantôt certains membres donnaient leur démission, tantôt d’autres s’abstenaient de paraître aux séances, si bien que le conseil n’était plus en nombre pour délibérer. Aussi sir William Denison vit-il venir sans regret le régime représentatif, qu’un acte du parlement britannique octroya en 1851 aux colonies australiennes. La conséquence de cet acte allait être de rejeter sur une assemblée librement élue par les habitans toutes les difficultés administratives dont le représentant de la reine avait eu seul le fardeau jusqu’à ce jour. C’était peut-être, se dira-t-on, une démarche téméraire que d’accorder des institutions parlementaires à une colonie dans laquelle un bon tiers de la population se composait de déportés. Le moment en outre était assez mal choisi, car la découverte de l’or sur le continent voisin avait jeté une perturbation profonde dans la Tasmanie. Les hommes valides partaient en masse pour les terrains aurifères. L’île avait perdu 10,000 habitans en trois ans. La main-d’œuvre manquait pour les travaux les plus urgens. Le prix des vivres s’était élevé à un chiffre exorbitant. Les colons arrivaient d’ailleurs à la vie politique sous l’empire de fâcheuses impressions ; ils étaient convaincus qu’il y avait antagonisme entre leurs intérêts particuliers et ceux du gouvernement métropolitain. Sir William Denison s’était employé, pendant tout son séjour dans l’île de Van-Diemen, à éteindre autant que possible les discussions irritantes que le hasard ou la force des choses soulevait à chaque instant. Il n’y avait pas toujours réussi. C’est qu’aussi les circonstances lui avaient été souvent défavorables. Ainsi certain jour il envoie au ministre des colonies un long rapport confidentiel sur l’état de la société dans l’île avec des observations faites en toute franchise sur les hommes importans du pays. Ne s’avise-t-on pas à Londres d’imprimer tout au long ce document, qui n’aurait jamais dû sortir des cartons du colonial office ! On conçoit les colères des administrés de sir William Denison lorsque le paquebot leur rapporta ces impressions secrètes de leur lieutenant-gouverneur. Il faillit y perdre toute la popularité qu’une sérieuse application aux intérêts du pays lui avait précédemment acquise.

On se figure que cette société d’outre-mer devait être sauvage et grossière. Tant s’en fallait au contraire qu’il en fût ainsi. A côté de convicts libérés et d’aventuriers d’origine suspecte, on y comptait bon nombre d’immigrans issus de bonnes familles et façonnés aux habitudes de la vie mondaine. Les préséances, l’étiquette, les raouts officiels du chef du gouvernement occupaient presque autant les Tasmaniens que les questions économiques qui touchaient à leur