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élections ; mais l’aspect de la nouvelle chambre n’est pas satisfaisant. Il semblerait en vérité que l’éducation, l’honorabilité de caractère, la position sociale, sont, pour les électeurs de la Nouvelle-Galles du Sud, des motifs de repousser un candidat. Les élus sont presque tous des hommes nouveaux, comme si les anciens députés étaient des hommes trop honorables pour l’esprit de démocratie sauvage qui domine en ce moment. »

On le voit, lady Denison prenait les choses d’une façon plus tragique que son époux. Celui-ci, se regardant presque comme un homme dépourvu de toute autorité, abandonnait volontiers à ses ministres le travail et les soucis des affaires. Comme dédommagement, il organisait une société d’agriculture, il présidait les sociétés scientifiques et littéraires, il faisait des projets de chemins de fer pour les campagnes et d’égouts pour les villes. En le dépouillant des fonctions actives que le titre de gouverneur-général rappelle d’habitude à l’esprit, on lui avait laissé cependant pleine et entière autorité sur une intéressante dépendance des colonies australiennes, sur l’île de Norfolk, jadis le séjour des convicts les plus endurcis, et habitée maintenant par une population libre dont l’origine est assez singulière. En ce qui concernait cette principauté microscopique de 200 habitans, sir William Denison avait le pouvoir de faire les lois aussi bien que de veiller à leur exécution.

L’histoire des habitans de l’île Pitcairn est assez connue pour qu’il ne soit besoin que d’en rappeler ici les faits principaux. En 1787, le lieutenant Bligh, commandant le navire la Bounty, revenait de Taïti. Son équipage, s’étant insurgé, le descendit dans une chaloupe avec quelques matelots restés fidèles. Les rebelles retournèrent alors à Taïti, se choisirent des compagnes et firent voile pour l’île Pitcairn, située en dehors des routes habituelles du commerce. Ils avaient amené aussi des hommes de Taïti. La paix ne régna pas longtemps entre les Polynésiens et les Européens. Ils se battirent ; les blancs succombèrent tous, sauf deux. L’un de ces deux hommes était Adams, qui réussit à organiser d’une façon passable cette petite société de sang mêlé. En 1853, les descendans des insurgés de la Bounty s’étaient multipliés à tel point que les récoltes de l’île Pitcairn ne suffisaient plus à leur nourriture. Ils demandèrent eux-mêmes au gouvernement britannique de vouloir bien les transporter sur une terre de plus grande étendue. On leur offrit l’île Norfolk, où les gouverneurs-généraux de la Nouvelle-Galles du Sud avaient créé un établissement pénitentiaire, devenu inutile depuis que la transportation avait été abolie en Australie. L’exode de cette population à moitié sauvage eut lieu en 1856, non pas sans regrets et sans difficultés. Les anciens de la tribu s’affligeaient de quitter leur terre natale ; jeunes et vieux s’effrayèrent, en arrivant à l’île