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lui-même jusqu’où allaient les prétentions impériales. Toutefois il croyait pouvoir affirmer qu’on gagnerait beaucoup dans l’esprit de l’empereur en lui offrant de réunir les douanes et de confier la garde du littoral à des douaniers français. C’est à quoi Roëll ne devais évidemment consentir que lorsque l’impossibilité de refuser lui serait démontrée. Que signifierait l’indépendance nationale dans de pareilles conditions ? Pendant ce temps, l’empereur continuait d’effrayer son frère en lui posant toujours l’alternative ou d’une soumission absolue ou d’un détrônement violent avec toutes ses conséquences. Louis pourtant trouva quelque appui auprès de plusieurs membres du corps diplomatique, entre autres le baron Dreijer, envoyé de Danemark, et le prince Kourakin, ministre de Russie, qui, ancien élève de l’université de Leyde, se sentait attaché à la Hollande par ses souvenirs, et ne doutait pas du déplaisir avec lequel sa cour verrait s’opérer l’annexion projetée. Louis reprit alors quelque assurance, et fit savoir à son frère qu’il ne prêterait jamais les mains ni à la réunion ni à une cession de territoire sans indemnité, que, si l’empereur voulait le faire descendre du trône, il ne lui demanderait que le temps d’aller régler ses affaires en Hollande, après quoi il rentrerait en France, se confinerait dans une retraite obscure et n’accepterait jamais d’autre royaume. Il se flattait encore secrètement de l’idée que son frère avait voulu lui faire peur, et il le connaissait assez pour savoir qu’il ne fallait pas s’alarmer outre mesure des menaces violentes ni des duretés dont il était prodigue.

Il s’abusait. Le Moniteur du 14 décembre parue avec ce singulier morceau de géographie politique : « La Hollande n’est réellement qu’une portion de la France ; ce pays peut se définir en disant qu’il est l’alluvion du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut, c’est-à-dire des grandes artères de l’empire. La nullité de ses douanes, les dispositions de ses agens, et l’esprit de ses habitans, qui tend sans cesse à un commerce frauduleux avec l’Angleterre, tout a fait un devoir de lui interdire le commerce du Rhin et du Weser. Froissée ainsi ente la France et l’Angleterre, la Hollande est privée, et des avantages contraires à notre système général, auquel elle doit renoncer, et de ceux dont elle pourrait jouir ; il est temps que tout cela rentre dans l’ordre naturel. »

On reconnaît dans ce curieux raisonnement une des idées et presque les expressions favorites de Napoléon lui-même, qui tenait beaucoup à représenter le sol hollandais comme un terrain enlevé indûment par les fleuves à l’empire : français. Au même titre, la Suisse aurait pu réclamer la possession de la vallée du Rhône et l’Autriche celle du Danube jusqu’à la Mer-Noire. De nouveau le roi alla demander à l’empereur ce qu’il devait penser d’une pareille théorie. « Écoutez, lui dit Napoléon, j’avais cru d’abord ne prendre