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propriétaires anglais, me paraissent encore plus injustes que celles dont on accablait les propriétaires irlandais, car en Angleterre les landlords ont beaucoup plus fait pour la prospérité des campagnes et pour le bien-être des cultivateurs qu’en Irlande. Il n’est pas impossible de faire de bonnes lois qui rendent l’intérêt des propriétaires identique à celui des cultivateurs ; mais quand les lois sont si mauvaises que l’intérêt de ces deux classes est en opposition, il est chimérique d’espérer que la plus puissante se sacrifie pour la plus faible. Après avoir établi une organisation de la société telle que le travailleur est nécessairement maintenu aux limites de l’indigence, et ne peut prendre la moindre part à la propriété, exiger que les vices des institutions soient corrigés par la charité des grands, c’est exiger de la vertu humaine un miracle qu’elle n’est parvenue à accomplir nulle part. Le manque de logemens convenables, si funeste à la moralité et au bien-être des populations, provient de deux faits résultant eux-mêmes de la grande propriété féodale, les paroisses fermées (close parishes) et les substitutions (entails).

Voici ce que sont a les paroisses fermées. » Jusqu’en 1865, la loi obligeait chaque paroisse à entretenir ses pauvres. S’il n’y en avait pas, il n’y avait pas non plus de taxe des pauvres (poor rates). Cette taxe pesant sur le revenu foncier, le propriétaire avait intérêt à ce qu’il n’y eût point de pauvres. Le moyen le plus sûr d’y parvenir était d’expulser de la paroisse tous ceux qui étaient voisins de l’indigence ou qui pouvaient parfois avoir besoin de secours, c’est-à-dire tous les ouvriers. Ce clearance, « ce nettoyage, » s’accomplit sans peine dans les paroisses dont les terres étaient possédées par un ou deux propriétaires qui s’entendaient facilement. On arriva de la sorte à former de magnifiques domaines, parfaitement cultivés, entretenus comme des parcs de plaisance, et où jamais l’aspect de la misère n’offense le regard. Quelques cottages modèles ornent le paysage, et abritent les travailleurs les plus indispensables. Les autres se réfugient dans une paroisse voisine restée « ouverte, » parce que les propriétaires ne s’entendent point pour la tenir fermée. Là, un spéculateur bâtit des huttes misérables, et les loue à un prix de monopole parce que les emplacemens manquent, et que peu de personnes veulent se livrer à cette triste spéculation. Les ouvriers, entassés dans ces localités, balayés dans un coin comme le dit énergiquement M. Leslie, ont chaque jour plusieurs milles à faire avant d’arriver à leur travail dans les paroisses closes. La nuit venue, après douze heures de labeur, de jeunes enfans, déjà épuisés de fatigue, ont souvent une lieue et davantage à parcourir avant de retrouver le logis. Le matin, afin d’arriver à l’heure, ils doivent se lever avant l’aube, Ceci est une des misères qui a le plus ému les