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perdre en Hollande. C’est pour la même raison qu’il refusa également de porter le titre de duc de Saint-Leu, lorsque le gouvernement de la restauration eut érigé le comté en duché. Il assista de loin, muet et morose, aux tragiques événemens de la campagne de Russie. Quand l’heure des grands désastres eut sonné, il écrivit à l’empereur pour lui faire ses offres de service, mais en même temps pour lui redemander le rétablissement de son trône et de la nationalité hollandaise. Napoléon lui répondit le 16 janvier 1813 : « J’ai 1 million d’hommes sur pied et 200 millions dans mes coffres ; la Hollande est française à jamais ; elle est l’émanation de notre territoire ; embouchure de nos rivières, elle ne peut être heureuse qu’avec la France, et elle le sent bien. » Les circonstances devenant de plus en plus graves pour la France et l’empire, l’Autriche s’étant jointe à la coalition, Louis se rendit en Suisse, attendant toujours. La bataille de Leipzig fut livrée le 18 octobre 1813. Peu de jours après se déclarèrent en Hollande les premiers symptômes de l’insurrection nationale. Louis prétend que Murat lui conseilla alors de rentrer dans son ancien royaume avec le secours des alliés. Il refusa, et ce fut sage à lui. Il est douteux que les alliés eussent appuyé ses prétentions ; il est certain que la Hollande, tout en l’aimant, tout en le plaignant, ne songeait pas à le rappeler. C’est au vieux cri d’Oranje boven (Orange à notre tête) que l’insurrection triomphait. La vieille maison stathoudérienne devait au régime impérial un retour de sympathie qui rappelait les jours de sa plus grande popularité. L’ex-roi sonda pourtant les intentions de l’empereur. « J’aime mieux que la Hollande retourne à la maison d’Orange qu’à mon frère, » telle fut la réponse de Napoléon, qui, à son point de vue, avait raison de préférer un ennemi avoué et avouable à un voisin qu’il ne pouvait laisser libre d’agir à sa guise et qu’il avait très mauvaise grâce à combattre. Louis fit alors par écrit des tentatives auprès des magistrats d’Amsterdam et de quelques hommes de confiance. Il leur rappelait les services rendus, l’absence de droits positifs des princes d’Orange à la couronne ; il leur conseillait de constituer un gouvernement monarchique et libre « à l’instar de ceux d’Angleterre et de Suède, » et de suivre une politique très prudente, uniquement inspirée par le désir de garder l’indépendance et la neutralité. Ses conseils étaient assurément fort sages ; mais ses lettres arrivèrent juste au moment où le prince d’Orange, rappelé en toute hâte d’Angleterre, débarquait à Scheveningen, au pied des mêmes dunes qui l’avaient vu, dix-huit ans auparavant, s’enfuir avec son père et sa mère. D’ailleurs la cause de Louis était perdue, le nom de Napoléon était désormais tellement abhorré en Hollande, qu’on n’y pouvait plus souffrir celui même qu’on aimait à désigner comme le meilleur des Bonapartes.