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populations ouvrières à l’endroit de tous ceux qui portent le nom de négocians : préjugés regrettables, sentimens aveugles, qui prouvent l’incapacité actuelle, et le manque de sens pratique de ceux qui s’y abandonnent.

L’un des caractères de la bourgeoisie, avons-nous dit, et l’un de ses mérites, c’est l’esprit de tradition ; son autre grand mérite, son autre caractère principal, c’est l’esprit d’initiative. La bourgeoisie en effet n’est pas un corps fermé qui se laisse atteindre par l’inertie, et. qui s’engourdisse dans la jouissance de ses avantages sociaux ; c’est un groupe toujours en mouvement qui sans cesse se renouvelle et s’enrichit d’élémens plus actifs, c’est la sève ascendante qui porte partout, la vie, et qui est le principe de tout développement normal. Les écrivains socialistes ont comparé l’organisation de la société à celle d’une armée, et se sont élevés avec force contre la subordination arbitraire, la discipline imposée. La comparaison est fausse. Il y a une hiérarchie dans la société, mais elle est le produit de la force des choses ; il y a un classement rigoureux, mais ce classement ne s’opère point par voie autoritaire, il résulte des capacités, et des efforts individuels. Ainsi la classe bourgeoise est un corps vivant dont la condition d’existence est de s’épurer et de se recomposer sans relâche. Chaque jour, les populations ouvrières perdent quelques-uns de leurs élémens les plus féconds et les meilleurs, qui vont accroître la force et l’activité de la bourgeoisie. Dira-t-on qu’il y a trop de hasard dans ce groupement des molécules sociales ? Ce serait singulièrement se tromper sur l’œuvre de la nature. Rien n’est plus régulier, nous dirons même plus infaillible que cet essor ininterrompu de toutes les capacités et de toutes les aptitudes. C’est folie de vouloir remplacer ce classement naturel, méthodique, harmonique, par les incertitudes du discernement et du contrôle humain.

Les considérations qui précèdent répondent à quelques-uns des sophismes que l’on retrouve le plus souvent dans les théories socialistes, et qui s’égarent même quelquefois dans les écrits de philanthropes habituellement plus judicieux. Un de ces derniers, partant de la définition, généralement admise par les économistes, que le capital est du travail accumulé, prétendait en tirer cette conclusion, que le capital doit être subordonné au travail, puisqu’il en est le produit. C’est là évidemment une conclusion spécieuse. Personne n’a émis l’idée qu’il fallait asservir les travailleurs manuels aux machines qu’ils surveillent et qu’ils dirigent. On aurait beau jeu à s’élever contre ce prétendu non-sens économique ; il y a place pour des déclamations saisissantes : l’on pourrait comparer ces infortunés, salariés, esclaves du matériel inerte des usines, à ces