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Sainte-Marie-des-Anges. « Nous t’élèverons un temple solide comme l’œuvre de tes mains ; la voûte en sera haute comme le dais de ton trône et les colonnes en seront robustes comme les inébranlables fondemens de la terre, » me suis-je surpris à murmurer pendant que j’errais à travers Sainte-Marie-des-Anges, comme si le spectacle de cet édifice m’avait contraint à imiter instinctivement le langage des vieux prophètes hébreux. Une seule particularité jure avec l’auguste austérité de ce temple : il a été mal nommé. Ce n’est pas Sainte-Marie-des-Anges qu’il devrait s’appeler, mais l’église de Dieu le père. La douce mère du Christ et tous les sentimens de tendresse qu’éveille son nom, le gracieux cortège des anges et toutes les images de juvénile beauté qu’ils évoquent n’ont rien à faire dans cette église, qui n’exprime de la religion que ce qu’elle a de plus sévère et de plus redoutable, qui repousse comme choses enfantines tout ornement et toute gaie décoration. Aussi n’est-ce que par accident qu’elle porte ce nom, et simplement à cause d’une figure de la Vierge entourée d’anges peinte en haut de la tribune.

Dans cette église si légitimement placée sous la garde des chartreux, je n’ai pris réellement plaisir qu’à contempler la statue de saint Bruno, qui se dresse au bout du large vestibule comme un géant de la vie solitaire dont le cœur, fermé à la pensée de la foule bigarrée des mobiles créatures humaines, est tout entier rempli de la lumineuse et froide vision de l’être incréé. Cependant, comme c’est la seconde fois que nous rencontrons sur notre route le Dominiquin, arrêtons-nous devant le ravissant artiste, ne fût-ce que pour faire contraste à cette impression un peu pénible de grandeur que vient de nous faire éprouver Sainte-Marie-des-Anges.

Le Dominiquin a été pour moi la grande surprise, le grand charme de Rome. Gravures, photographies, copies, descriptions de toute nature, m’avaient dès longtemps préparé à admirer Michel-Ange et Raphaël ; mais rien ne m’avait réellement initié et n’avait pu m’initier au génie du Dominiquin. Sa couleur, attendrissante comme une lumière qui s’affaiblit, son insinuante douceur, sa grandeur modeste et virginalement timide, échappent à toute reproduction par la gravure et la description. Il est semblable à ces rares personnes dont on ne peut juger sur leur renommée, qu’il faut voir en chair et en os pour en comprendre le mérite, et qu’on n’apprécie dignement que lorsqu’on arrive à les aimer. Quiconque a seulement admiré le Dominiquin ne parlera jamais de lui que froidement ; il rendra justice à ses grandes qualités de peintre, à sa science de composition, à son ingéniosité d’esprit, à sa maestria de pinceau ; mais fera-t-il comprendre l’attrait de cette élévation constante et si libre cependant de toute prétentieuse ostentation, de cette noblesse ingénue qui semble ne se révéler que par contrainte, de ce talent