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l’artiste a décoré ces lunettes de Saint-Onuphre. Le coloris le plus éclatant serait impuissant à rendre avec autant de vérité l’esprit de ces épisodes, dont le drame fut tout psychologique. Ce sont les révolutions morales de l’âme de saint Jérôme que retracent ces peintures, et en les regardant il semble en effet que l’on ait pénétré dans un monde où les contingences bigarrées de la nature extérieure n’existent plus ou n’existent qu’à l’état d’ombres. Deux d’entre elles, qui se rapportent aux visions de saint Jérôme, sont des visions en toute réalité. Dans l’une, saint Jérôme, encore tout brûlant des ardeurs de son jeune zèle, est renversé par le tonnerre de la voix divine qui lui crie la célèbre parole : « Toi, un chrétien ! tu n’es qu’un cicéronien ! » Dans l’autre, le bouillant docteur, au début de ses austérités, voit dans la chaleur de ses rêves les voluptés de Rome qui l’appellent sous la forme d’un groupe de jeunes filles qui jouent et dansent à l’ombre d’un arbre, dans un élégant paysage digne du Décaméron. Il semble que l’on voie ces figures par les yeux de l’esprit, tant elles font l’effet d’ombres, estompées, enveloppées comme elles le sont d’un nuage par le ton blafard de la peinture. Tout autre est le coloris de la fresque du Martyre de saint Sébastien à Sainte-Marie-des-Anges, vigoureux et éclatant comme la lumière qui doit éclairer cette scène tout extérieure.

Ainsi le coloris si divers du Dominiquin se trouve toujours en parfaite harmonie avec la nature des sujets qu’il traite : clair et doucement lumineux s’il s’agit de faire saillir des personnages isolés comme ceux des allégories de Saint-André-della-Valle, uniformément pâle s’il s’agit de faire apercevoir des visions ou de retracer des sujets de nature psychologique, éclatant et vigoureux lorsque la scène est de nature extérieure et en quelque sorte physique. Et ne croyez point que cette harmonie n’ait pas été cherchée et méditée par le peintre, et qu’elle soit un hasard dû seulement au caprice du pinceau ou aux dispositions des lieux qu’il s’agissait de décorer. Les artistes de cette heure tardive sont pleins de ces raffinemens, de ces habiletés cherchées de loin ; ils n’ont plus la grandeur et la simplicité des artistes de l’époque précédente ; leur art n’est déjà plus une industrie de nature, c’est une science hermétique pleine de secrets. Le Guide par exemple abonde en finesses du genre de celles que nous venons d’attribuer au Dominiquin. Qu’il nous suffise d’indiquer l’Ame bienheureuse de la galerie du Capitole. Dans cette toile, le Guide a essayé de représenter une âme sans corps, et il a créé un grand fantôme blanc, de forme fluide, de substance en apparence impalpable, lumineusement incolore, à ravir d’aise M. Jeammot de notre école de Lyon. On ne se douterait certes jamais, si l’en n’était averti, que ce long fantôme blanchâtre est sorti du même pinceau qui peignit