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que le croit l’auteur. Il se produit dans toute espèce de souvenir, sauf la croyance à la présence de l’objet ; il se produit dans le rêve avec cette dernière circonstance. Tous ces cas sont analogues, et, pour expliquer l’un d’eux, le plus rare et le plus frappant sans doute, il n’était pas nécessaire, ce semble, de recourir au paradoxe de l’hallucination universelle. C’est la loi même de l’imagination de concevoir les objets déjà perçus sous l’impression organique, tandis que c’est la loi de la perception proprement dite de saisir réellement les choses au moyen de cette impression. Nous convenons que dans les deux cas l’acte de représentation, le fantôme (φαντασία), est le même ; mais, comme c’est précisément le fait de l’impression organique qui les distingue, pourquoi en faire abstraction dans la définition du caractère essentiel de la perception ?


III

Cette manière paradoxale de formuler sa pensée ne se remarque pas seulement dans presque toutes les théories de l’auteur sur des questions particulières ; elle est l’esprit même du livre, et elle communique à toute la doctrine de l’auteur un singulier caractère de nouveauté. Pour peu qu’on suive avec attention le développement de la pensée qui en fait l’unité et l’originalité, on trouve que M. Taine affecte partout la méthode des sciences physiques. L’auteur est trop familier avec les sciences morales pour confondre la psychologie avec la physiologie, les phénomènes de conscience avec les phénomènes sensibles ; mais, comme il n’accorde à la conscience d’autre fonction que d’être le miroir des faits moraux, encore un miroir très imparfait qui ne laisse voir que le gros des faits, sans nous en laisser deviner la composition élémentaire, il s’ensuit que tous les enseignemens intimes sur le moi, sur ses attributs, sur ses facultés, sur lesquels se fonde surtout la psychologie de l’école de Maine de Biran, ne sont pour M. Taine que des affirmations arbitraires, dont le plus souvent l’expérience démontre le caractère illusoire. Sauf que le microscope et le scalpel y sont remplacés par les procédés de l’observation mentale, la psychologie de M. Taine est une véritable physique, et une physique dont une école de physiologistes comme M. Claude Bernard n’accepterait pas le point de vue essentiellement mécanique dans l’explication, des phénomènes de la vie.

La méthode suivie par l’auteur dans le cours de son ouvrage est très simple et vraiment belle ; c’est d’abord l’analyse décomposant la réalité psychologique dans ses élémens irréductibles ; c’est