Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriété des idées encore plus larges que les csikós. En Occident même, les habitans des bois qui luttaient contre le prince ou le seigneur ont toujours pu compter sur les sympathies de la foule, disposée à considérer comme une prétention tyrannique les droits du propriétaire sur les arbres des forêts et sur le gibier. Sóbri, qui en sa qualité de kanász partageait cette manière de voir, était un beau garçon qui aimait les costumes propres à le faire briller à la csárda aux yeux des jeunes filles. Il vola quelques porcs, et fut enfermé pour deux ans dans les prisons du comitat. La prison est une mauvaise école, et les scrupules du kanász y disparurent si complètement qu’il tua un porcher assez hardi pour lui disputer le cœur de la femme du geôlier de la prison de Szombatkely. Cette femme le fit évader pour le soustraire au dernier supplice, et il devint dans la forêt de Bakony le chef d’une bande redoutable, composée de kanász et de déserteurs. Sans avoir jamais lu les Brigands, Sóbri semble avoir deviné les idées inspirées à Schiller par les théories misanthropiques de l’auteur du Contrat social et du Discours sur l’inégalité. Il se mit à prendre aux riches ce qu’il considérait comme leur superflu, et il le donnait aux pauvres. Les propriétaires des environs, pour n’être pas trop rançonnés, le laissaient paraître à leurs fêtes, où il payait son écot en prodiguant les joyeusetés et en répétant les chants les plus populaires du pays. Petöfi semble faire allusion à ces scènes caractéristiques quand il peint le « pauvre brigand, » le « fils des steppes, » le « souverain de la puszta, » qui arrête une riche voiture, et d’un ton fort poli demande un baiser à la « noble dame. » Si les seigneurs se montraient indulgens, le peuple se prononçait avec enthousiasme en faveur de l’homme qui était devenu la terreur des pandours. Sóbri disparut un beau jour. Les uns ont dit qu’il a succombé dans un rude combat livré aux gendarmes, les autres qu’il avait franchi l’océan pour jouir paisiblement de ses richesses aux États-Unis et pour défendre les nègres contre les persécuteurs de « l’oncle Tom ; » mais, comme on croit généralement qu’il était resté pauvre, cette supposition n’est guère vraisemblable.

Alexandre Rosza ressemble plus que Sóbri aux klephtes célèbres de la Grèce moderne, parce qu’il vint un moment où, en tournant son épée contre l’ennemi, il put dire, comme le Corsaire rouge de Fenimore Cooper, qu’il en voulait moins à la loi qu’à ceux qui ne lui semblaient pas dignes de la personnifier. Rosza était avant 1848 le véritable « roi de la puszta. » Il avait si bien tenu tête aux troupes envoyées pour le réduire, que le gouvernement sorti de la révolution crut devoir lui accorder une amnistie, ainsi qu’à ses « pauvres garçons, » à la condition qu’il ferait oublier ses méfaits en se battant