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avec une franchise digne de la libre Angleterre : « Nos concitoyens les plus accomplis ont gardé le silence sur les côtés faibles de notre race ; — immense au contraire a été le nombre de ses flatteurs. » Pour ne pas tomber dans ce défaut, il reproche bravement à ses frères d’être, non une nation chevaleresque, mais un peuple aux inclinations asiatiques, d’un naturel « jaloux, vindicatif, querelleur, — inconstant. » L’inconstance est, hélas ! « le couronnement de l’édifice ! » Quelle que soit l’opinion qu’on ait sur la portée de ces assertions, on voit combien il est aisé de retourner contre un sexe les accusations trop aisément prodiguées à l’autre. Les véritables penseurs ne s’arrêteront pas à gémir sur la mobilité des « filles d’Ève, » ils diront avec le clairvoyant Montaigne : « L’homme est semi-sautier, ondoyant et divers. »

Il ne manque pas non plus parmi les poètes magyars de gens peu disposés à s’attrister longtemps de la fragilité des affections humaines. Cette résignation s’explique moins par la philosophie que par les ressources particulières dont elle dispose. « As-tu quelque peine ? — Bois du vin pour remède. » — « Apportez-moi de l’eau-de-vie pour trente florins ! » s’écrie un amant trahi par Rose. Le vin magyar (le vin généreux de Tokai, disent les chants, a la couleur et le prix de l’or) a été chanté avec trop de conviction par les poètes populaires, dont l’enthousiasme est partagé par Petöfi, pour qu’on puisse douter de l’efficacité de pareilles consolations, consolations dont, il faut l’avouer, les Magyars n’ont nullement le monopole, et que les Anglo-Saxons des deux mondes comme les Slaves apprécient également. Plus francs que bien d’autres, ou, si l’on veut, moins politiques, les Magyars mettent en évidence leurs défauts comme leurs qualités.

Il faut rendre cette justice aux poètes magyars, que, s’ils ont leurs épicuriens, il en est parmi eux qui ne sont pas convaincus que l’insouciance, le plaisir, le vin, sont capables de guérir toutes les blessures qui atteignent l’homme dans la « rude bataille de la vie. » La manière dont un chant décrit le départ du terrible Martin Zöld atteste assez que ces cœurs vraiment virils se résignent difficilement parfois à d’indispensables sacrifices : « O pure marque d’amour ! — comme il m’a embrassée ardemment ! — O ange titulaire de mon cœur, — ton baiser a été un véritable miel vierge. — Son coursier s’est retourné trois fois, — tantôt il se cabrait ici, tantôt là, — qui sait s’il n’a pas compris notre amour, — l’amertume de notre séparation ? » Ces cœurs d’acier ne semblent pas craindre d’être tendres ni de montrer les profondes blessures que leur font les affections brisées par la mort ou par l’abandon. On interroge un brave jeune homme sur les causes de son profond chagrin ; on lui demande