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n’auront été inspirées, et ce sera visible, que par le sentiment d’un vif attachement pour nos braves soldats et par le désir de conserver dans la plénitude de leur vigueur et de leur vaillante activité ces défenseurs du pays, en écartant d’eux une partie au moins des risques qui ne viennent pas de la balle, du boulet ou de la baïonnette de l’ennemi, risques auxquels a succombé un si grand nombre de nos soldats dans les guerres antérieures.

Les deux peuples qui vont se faire la guerre sont des plus civilisés, des plus renommés pour leurs lumières, pour l’élévation de leurs sentimens, pour leur humanité, leur culte de la raison, leur amour de l’équité, et cependant ils se soumettent à un genre d’épreuve où l’équité, la raison, ne comptent plus, et où l’humanité est éclipsée, puisque l’ambition de l’homme dans la guerre est de détruire son semblable.

À ces tristes caractères de la guerre, il y a une contre-partie, je suis loin de dire une compensation. C’est, dans les guerres modernes du moins, l’effort énergique et soutenu auquel se livre l’esprit humain, et qui se produira vraisemblablement sous plus d’une forme grandiose dans la présente guerre. Je voudrais explorer aujourd’hui un coin de ce sujet. Cependant, quelque intérêt qui s’y rattache, je laisserai à l’écart l’un des merveilleux aspects de l’intelligence dans son application à la guerre, je ne dirai rien des talens militaires qui pourront se déployer et du genre de génie que pourront montrer les capitaines chargés de combiner les mouvemens des armées et de présider à leur choc dans les batailles, Les grands hommes de guerre, ceux dont la présence dans une armée vaut, selon le jugement de Wellington sur Napoléon, celle de 40,000 soldats, ont été rares dans tous les temps, autant que les grands poètes, et on les compte dans la série des siècles ; ils sont investis d’un don du sort, et les peuples en prononcent le nom avec un mélange d’admiration et de terreur. Quelqu’un de ces hommes exceptionnels se révélera-t-il dans la lutte entre la France et la Prusse ? Y aura-t-ii un Arminius ou un Germanicus ? Nul ne le sait, nul ne peut le prédire. De part et d’autre, les peuples ne peuvent faire que des vœux ardens pour obtenir l’apparition sous leur drapeau d’un de ces mortels privilégiés et terribles, de même que les Grecs, alors qu’on tirait au sort le nom de celui des héros qui devait se battre avec Hector, adressaient à Jupiter cette prière fervente : « grand dieu, faites que ce soit le grand Ajax, ou le fils de Tydée, ou le roi de Mycène ! » Quand on raisonne froidement, abstraction faite des vœux qu’on peut former, il y a lieu, devant la campagne qui s’ouvre, de faire la supposition qu’à l’égard du haut commandement et de l’habileté stratégique les deux parties se