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plaines et les villes riches : ceux-là étaient de vrais soldats, l’âme et le soutien de la rébellion, la terreur des armées impériales ; d’autre part, le gros des Taïpings, une vile multitude, tourbe imbécile et immonde, recrutée par force dans les rangs de paysans ruinés, gens sans aucun courage, toujours les premiers à la fuite comme au pillage. Nos armes perfectionnées frappèrent surtout ceux qui les bravaient tous les jours, c’est-à-dire les pirates et les montagnards. Ils tombèrent les uns après les autres, et, leur forte race disparue, il ne resta plus rien de cette insurrection qui pendant plus de dix ans avait tenu le gouvernement impérial en alarme et menacé la dynastie des Tartares. Les mandarins, qui suivaient les troupes européennes et les Chinois disciplinés de l’armée impériale à la tête de leurs « tigres » et de leurs « braves, » ne manquaient pas d’entrer dans les villes avec les vainqueurs, et complétaient l’œuvre du canon par des massacres réguliers et systématiques. Dans une seule cité, Sou-tcheou, l’une des plus grandes et des plus agréables de l’empire, renommée par l’élégance et la beauté de ses femmes, 20,000 individus furent massacrés par les mandarins en dépit d’une capitulation qui leur promettait la vie sauve. Cette atrocité dégoûta d’une pareille alliance les gouvernemens d’Europe. Shang-haï était depuis longtemps à l’abri de toute menace. Après tant de défaites, les Taïpings ne conservaient plus que Nankin. Les équipages rentrèrent à bord, les aventuriers furent licenciés, les officiers qui commandaient les Chinois disciplinés reçurent l’ordre de quitter le service du Céleste-Empire, et l’armée chinoise fut livrée à elle-même en face de la révolte. Il ne lui restait d’ailleurs d’autre tâche que de faire le siège de Nankin. Les Tartares, chargés de prendre la ville, se firent longtemps un devoir d’éviter d’en venir aux mains avec la garnison. Ils se bornaient à renforcer sans cesse le cordon de leurs troupes, comptant sur la faim et la souffrance pour amener la soumission des assiégés.

Vers le milieu de l’année 1864, le capitaine Gordon profita de ses loisirs pour faire une visite au camp des impériaux. Il reconnut que le moindre effort suffirait pour déterminer la chute de la ville, il encouragea le mandarin qui commandait, et lui dit ce qu’il fallait faire pour achever le siège. Ce général nommé Li-tchenn-tien s’était déjà signalé par des succès sur les insurgés. Il était doué de quelque esprit militaire, phénomène rare en Chine, et il n’était pas rebelle, comme la plupart de ses collègues, à toute inspiration de courage. Il commença contre la place une canonnade vigoureuse, et en même temps il fit sauter une mine qui pratiqua dans le mur extérieur une brèche de 120 pieds. Nankin avait trois lignes de défense : l’une fut emportée dans un premier assaut. La