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hâte. Le 8 novembre, le Trent, passant dans le canal de Bahama, se vit poursuivi par un navire de guerre qui lui intima l’ordre de s’arrêter en envoyant deux boulets dans sa voilure. C’était le San-Jacinto. Un officier américain se rend à bord avec une escorte de marins armés, et demande à voir la liste des passagers. Sur le refus qui lui est fait, il annonce qu’il est chargé d’arrêter MM. Mason, Slidell, Macfarland et Eustis, et qu’il a la certitude que ces quatre personnes sont au nombre des passagers. Le capitaine du Trent refusait encore de répondre, lorsque, s’avançant, M. Slidell déclare que lui et ses compagnons sont sous la protection du drapeau britannique, et qu’on ne les enlèvera que par violence. L’officier américain fit, avec toute la politesse voulue, la manifestation de violence qui lui était demandée, puis il redescendit dans son canot avec les quatre prisonniers, et rejoignit le San-Jacinto, qui assistait à cette scène, à 200 mètres de distance, les canonniers aux pièces, les sabords ouverts, prêt à couler le Trent en cas de résistance. Le paquebot fut alors libre de poursuivre sa route. MM. Mason et Slidell et leurs deux secrétaires furent conduits à Boston et détenus au fort Warren.

Tel est le récit exact d’un événement qui produisit, on ne peut l’avoir oublié, une émotion indescriptible, non-seulement en Angleterre, mais aussi dans toute l’Europe. Aux États-Unis, une satisfaction générale, sinon unanime, en accueillit d’abord la nouvelle. Le capitaine Wilkes reçut de chaudes félicitations de son supérieur, le secrétaire de la marine. La chambre des représentans lui adressa des remercîmens, et vota en même temps une résolution qui invitait le président à poursuivre MM. Mason et Slidell comme coupables du crime de haute trahison. On ne regrettait qu’une chose en cette affaire, c’était que le Trent n’eût pas aussi été capturé. Or il est bon de noter que ce paquebot portait, outre les malles de la poste, soixante passagers, une cargaison de grosse valeur et des sommes considérables en espèces. Cependant cet enthousiasme ne fut pas de longue durée. M. Seward lui-même écrivait, dès les premiers jours de décembre, à M. Adams une lettre que cet ambassadeur était autorisé à lire à lord Russell. M. Seward disait que le capitaine Wilkes avait agi sans instructions, et que le gouvernement fédéral attendrait, avant de prendre une décision, les observations que la Grande-Bretagne croirait avoir à faire.

Entre les États-Unis, qui prétendaient que l’arrestation de MM. Mason et Slidell était légitime, et l’Angleterre, qui voyait dans cet événement une offense faite à son pavillon, il allait s’élever un débat de droit international dont nous voudrions rendre avec impartialité les argumens contradictoires. Les motifs que la