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maintenir et même à enrichir encore son antique patrimoine de gloire. L’examen que nous nous proposons ne touche pas seulement à la bonne conduite de la guerre, il devra aussi tenir sa place dans les négociations pacifiques. Le but que les peuples européens cherchent à atteindre, c’est l’établissement d’une paix qui ne soit plus une trêve, c’est la fondation d’un équilibre qui ne se montre pas instable et ne produise point de périodiques secousses, c’est enfin un ordre de choses régulier, et qui soit, pour notre génération du moins, définitif. L’on ne peut aller au hasard dans ces tentatives. Il ne suffit plus aujourd’hui de consulter la carte de l’Europe et de mesurer de l’œil l’étendue des diverses nations. Il faut descendre plus au fond des faits sociaux et appuyer sur des notions précises et complètes des déductions rigoureuses. Dans notre état de civilisation, les élémens de puissance sont variés et divers : il faut pour les analyser le concours de la science.


I

La grandeur, la nature, la forme du territoire, ont toujours exercé une notable influence sur l’essor et la vigueur d’une nation. Cette étendue physique du sol est aux peuples ce que la taille est aux individus : un indice de force, qui doit être pris en considération, mais qui se montre quelquefois trompeur, parce qu’une vitalité plus grande et une sève plus mâle peuvent être resserrées sur un plus étroit espace. Considérées sous le rapport de la superficie, les deux nations belligérantes sont presque égales. La France a 543,000 kilomètres carrés ; la confédération de l’Allemagne du nord en compte 413,000 ; si l’on y ajoute la Bavière, le Wurtemberg, Bade et la portion de la Hesse qui appartient à l’Allemagne du sud, on a un total d’environ 531,000 kilomètres carrés. Nous avons donc, quant à l’étendue du sol, un très léger avantage sur nos rivaux ; notre territoire est d’un quarantième plus vaste que le leur, mais cette supériorité est compensée par certains inconvéniens. Notre pays est plus ouvert, moins défendu par des obstacles naturels : la capitale, qui joue dans la vie d’une nation le rôle du cerveau dans le corps humain, est chez nous plus près de la frontière, plus exposée à l’attaque de l’ennemi. Nous ne sommes pas, comme l’Allemagne, protégés sur notre flanc par un fleuve énorme, barrière malaisée à franchir. Cette infériorité dans la configuration de notre territoire compense la différence minime des superficies.

Il en est des nations comme des hommes : une haute taille ne suffit pas pour prouver la vigueur, il faut que les membres soient bien liés, les articulations souples et résistantes, que la circulation