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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/189

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ses lignes rompues, sa frontière ouverte, ses corps d’armée dispersés et coupés ; elle voyait le désarroi dans le quartier-général de Metz, la panique dans le gouvernement, à Paris. Quelle confiance pouvait-elle avoir ? Comment n’aurait-elle pas été dans cette première heure agitée des pressentimens les plus sombres ? Il est certain que si les Prussiens n’avaient pas été surpris de leurs victoires autant que nous l’étions de nos défaites, s’ils s’étaient sentis en force ou s’ils avaient eu assez d’audace pour s’avancer sans perdre un instant, on ne voit pas bien, même aujourd’hui, qui aurait pu les arrêter., tant on avait mis de légèreté dans la préparation de cette guerre, Derrière l’armée du Rhin, dont les corps dispersés n’auraient pu se rejoindre, il n’y avait pas une seconde ligne de défense. L’armement de Paris était à peine commencé, réserves et garde mobile n’étaient point encore réunies. Les troupes campées autour de Metz n’auraient pu former une masse suffisante pour livrer bataille à l’armée prussienne avec des chances sérieuses. La France se serait toujours réveillée, nous n’en doutons pas ; pour le moment, elle était livrée à la confusion, paralysée dans sa force, minée par l’espionnage, affaiblie par les défiances nées du malheur. Les Prussiens ont laissé échapper l’occasion, ou ils n’ont pas pu la saisir, et tout a changé rapidement. La guerre ne peut plus se poursuivre ou se dénouer par une surprise, elle redevient une lutte qui n’est plus partielle ou inégale comme à Wissembourg ou à Wœrth, et dans cette nouvelle situation, telle que l’ont faite trois semaines d’efforts et d’énergie, on sent un pays fortifié contre les vaines alarmes, vigoureusement conduit, tout prêt à supporter les alternatives d’une campagne au bout de laquelle il voit la sauvegarde de son indépendance, la victoire des idées libérales que représente son drapeau.

Que voyez-vous en effet depuis quelques jours surtout ? Est-ce qu’il y a quelque trace de cette stupeur et de ces troubles des premières heures ? Est-ce qu’on s’énerve dans les découragemens mortels ou dans les effervescences stériles ? Nullement ; il y a une sorte de tranquillité ferme et résolue, on n’entend plus de cris dans nos rues, on ne voit plus de ces farandoles patriotiques qui ne sont que la fantaisie bruyante de ceux qui n’ont rien de mieux à faire. Dans le pays, il y a de l’émotion sans doute et point d’hésitation. Chacun va prendre son rang ou attend son tour. On dirait qu’une confiance nouvelle, fille d’un sentiment viril, s’est réveillée et se proportionne au péril public. On dirait que tout est changé depuis que la présence de l’ennemi impose silence aux dissensions politiques, depuis que nos affaires sont passées entre les mains de quelques hommes qui ont pris pour unique mot d’ordre la défense nationale, qui sont devenus les vrais chefs de la France par une sorte de délégation universelle. Le ministre de la guerre, le général Montauban, comte de Palikao, agit beaucoup et parle peu ; il organise de nouveaux régimens sans faire de longs discours, et, même quand il parla, il montre