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genre de sanctuaires que celui de Banias, à l’extrémité septentrionale de la Galilée. La Syrie n’offre guère de paysages aussi singuliers et aussi beaux. On y embrasse d’un coup d’œil une vaste plaine allongée, dont l’extrémité la plus lointaine et la plus basse est occupée par les marais et le lac de Houléh, appelés dans la Bible les Eaux de Mérom. Au nord, cette plaine est fermée, comme d’une longue muraille, par les derniers contre-forts de l’Hermon ; mais ce mur naturel est brusquement divisé par deux déchirures perpendiculaires si rapprochées l’une de l’autre, qu’il ne reste debout entre deux profonds ravins qu’un cône haut de trois cents mètres au moins et couronné du château-fort de Soubeibeh. C’est au pied de ce cône que Banias est bâtie sur une terrasse naturelle d’où l’on découvre toute la contrée jusqu’aux ruines élevées de Hounîn. La terrasse est partout découpée et arrosée par des filets d’eau qui tombent en cascades ; elle est ombragée par des chênes et de vieux oliviers entremêlés d’aubépines et de myrtes. Le village a un aspect étrange ; une quarantaine de maisons basses et carrées s’échelonnent sur les rochers, et presque toutes portent sur leur toit plat un gourbi rougeâtre bâti en branchages de bois mort, juché comme sur des échasses, et où la famille se réfugie pendant les nuits d’été pour échapper à l’étouffante atmosphère de l’intérieur, et surtout aux scorpions, aux centipèdes, aux insectes innombrables qui, pendant la saison chaude, y fourmillent.

La beauté de ce lieu, qu’un voyageur distingué, M. Stanley, doyen de Westminster, appelle presque un Tivoli syrien, a donné naissance à l’antique ville de Banias. Il est probable, comme l’a fait remarquer l’illustre savant américain Robinson, qu’avant même l’invasion du pays de Canaan par les Israélites, cet endroit avait été consacré à un des dieux appelés Baalim, soit sous le nom de Baal-Gad (maître ou dieu de la fortune, identifié par les uns avec Jupiter, et par d’autres avec Ténus), soit sous celui de Baal-Hermon (maître ou dieu de l’Hermon), qui est cité plusieurs fois dans le livre de Josué. Il était naturel qu’au moment de s’élever sur les premières pentes de la chaîne, un voyageur païen cherchât à se rendre propice la divinité redoutable qui régnait sur cette belle et haute montagne. C’était un acte de piété en même temps qu’un acte de prudence.

Ce point intermédiaire entre les hauteurs des grandes chaînes et la région relativement basse de la Galilée et de la Judée fut la limite septentrionale des conquêtes de Josué et par conséquent des territoires israélites. Ce fut aussi plus tard la limite des excursions d’un autre Josué, qui allait de bourgade en bourgade, faisant le bien. On sait, que les deux noms de Josué et de Jésus sont