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pour une somme qui s’éleva progressivement de 13,000 à 18,000 fr. Le fermier ne cherchait qu’à réaliser un gain considérable, livrait des boissons frelatées ; on buvait à toute heure, l’ivrognerie régnait en permanence à Bicêtre avec tous les désordres, qu’elle comporte. Les inconvéniens de ce système furent tels qu’en 1837 trois arrêtés successifs, du conseil général des hospices abolirent le fermage des boissons et décidèrent, l’établissement d’une cantine gérée par l’administration. Les résultats ont dépassé tout ce qu’on avait pu espérer, car depuis lors la maladie et la mortalité ont diminué d’un dixième. Les salles de la cantine ressemblent à celles d’un grand cabaret : murailles nues, sol bitumé, tables et bancs en bois, comptoir d’étain défendu par une petite barrière derrière laquelle se tient le sommellier. On est surpris en voyant une large pancarte indiquant qu’il est défendu de fumer. Une telle prohibition dans un lieu réservé spécialement « au culte de Bacchus » paraît bien excessive. Du reste, lorsqu’on voit répété sur tous les murs d’une maison la phrase sacramentelle : « il est interdit de fumer, » on est à coup sûr dans une dépendance de l’assistance publique, car jamais une administration n’a fait une telle guerre au tabac, le directeur général lui-même s’en abstient certainement tout le premier.

Malgré les améliorations qu’on n’a cessé d’apporter à l’hospice depuis trente ans, la place n’a pas encore, dans certains services, toute l’ampleur désirable, il y a des dortoirs, celui de la salle Saint-Augustin, par exemple, qui contiennent beaucoup trop de lits 120 réglementaires et 20 supplémentaires.. Si vaste que soit une chambre, il est contraire aux exigences les plus simples de la salubrité d’y entasser 140 personnes, et surtout 140 vieillards qui tous sont plus ou moins sujets à quelque infirmité. Le dortoir Saint-Augustin est cependant fort recherché malgré ce dangereux encombrement. La cause qui le rend précieux aux administrés de Bicêtre est assez bizarre pour mériter d’être expliquée. Ce dortoir est placé de façon à laisser voir Paris tout entier. Lorsque pendant la nuit un incendie s’allume dans la grande ville, un des pensionnaires donne bien vite la nouvelle ; tous se réunissent aux fenêtres, se tassent les uns contre les autres, discutant sur le lieu précis du sinistre, riant si les flammes prennent des proportions imposantes et s’amusant beaucoup, car, ainsi que disait l’un d’eux,. « Ils ont si peu de distractions ! » Au surplus, l’insensibilité de ces vieillards est vraiment extraordinaire ; leur cœur semble avoir été ossifié par l’âge. Un vieux brave homme très honnête, et que bien des écrivains ont connu, était entré aux Incurables ; il nous écrivit, nous priant avec instance, d’aller la voir. Quand j’arrivai, il me, dit : « J’ai quelque