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que l’empire a disparu, ces sentimens se sont un peu modifiés. Notre gouvernement a été aussitôt reconnu par quelques puissances. On nous a adressé des témoignages de sympathie auxquels M. Jules Favre a répondu avec un courtois empressement. Au total, il y a dans l’air un léger souffle ; redevenu favorable à la France. Il n’est pas moins certain cependant que la France fera bien de compter sur elle-même, peu sur les autres.

À vrai dire, l’Europe ne saurait, longtemps s’y méprendre, elle doit s’apercevoir que dans cette lutte, malgré tout, ce qu’on peut faire pour obscurcir les situations, c’est la France qui représente l’intérêt européen, c’est la Prusse qui est certainement la puissance la plus menaçante pour toutes les sécurités. M. de Bismarck a beau rassurer ses bons amis, les Anglais en leur garantissant qu’il n’a aucun mauvais dessein sur la Hollande, il y a évidemment une force des choses qui entraîne la Prusse, enivrée par ses victoires inattendues. Aujourd’hui ce serait la Lorraine et l’Alsace, si on la laissait faire ; demain ce seraient les provinces allemandes de L’Autriche ; plus tard, aussi tard que possible si l’on veut, les provinces baltiques de la Russie. Pourquoi pas ? Est-ce que la mission historique de L’Allemagne ne s’étend pas à tout ce qui est de langue allemande, d’intérêt allemand ? Le mouvement a commencé par le Slesvig, il se propagera infailliblement jusqu’à la reconstitution de l’empire germanique. Le roi Guillaume n’a qu’à faire un geste pour se faire couronner empereur d’Allemagne, et celui-là est un peu plus dangereux que cet autre empereur qu’il vient d’envoyer à Cassel.

La reconstitution d’un empire féodal et militaire au centre du continent, est-ce là ce que veut l’Europe ? Non sans doute. Pourquoi dès lors ne point agir conformément à cette pensée ? Malheureusement elle ne semble pas en être encore là. Chacun voudrait peut-être faire quelque chose, et en définitive on ne parvient pas à s’entendre. L’Angleterre oublie un peu que la France a été son alliée dans la guerre et dans la paix, et recule visiblement devant une action quelconque. Elle ne veut point s’engager dans une voie qui, selon elle, serait sans issue. Intervenir par des paroles, par des suggestions, ce serait probablement inutile, aller jusqu’à une médiation armée, l’Angleterre ne saurait s’y résoudre ; elle n’a point d’armée à envoyer sur le continent, et sa flotte ne servirait à rien. Elle se retranche donc jusqu’ici dans une réserve qui n’est peut-être pas sans influence, sur l’attitude des autres, puissances. L’Autriche se sent menacée ; elle comprend bien que tous ses intérêts sont avec la France ; mais elle a été visiblement déconcertée par la précipitation des événemens, et aujourd’hui d’ailleurs elle est retenue par la circonspection anglaise. La Russie, qui, au début de la guerre était assez naturellement favorable à la Prusse, s’est montrée dans ces derniers temps plus sympathique pour la France ; elle a commencé à réfléchir, elle a paru, plus