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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/382

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LES PAYSANS ET L’ESPRIT DES CAMPAGNES.

I. Les Paysans par Alphonse Esquiros ; Paris 1870. — II. Continental farming and peasantry, by James Howard, M. P. ; London, 1869.

Comme si les maux de la guerre n’étaient pas par eux-mêmes assez douloureux, nous avons assisté dans ces derniers temps à un autre spectacle fait pour nous remplir de tristesse. Aussitôt après les défaites de Wissembourg et de Forbach, tandis que les chefs de l’armée tentaient de réparer par leur patiente énergie les fautes de leurs devanciers, tandis qu’on se demandait à Paris dans quelles mains on allait remettre le pouvoir, et que déjà l’on doutait d’un ministère à peine formé, un nouveau cri d’alarme retentit soudain dans toute la France, partant cette fois des provinces où l’invasion n’avait pas pénétré et dans lesquelles il semblait qu’on eût égaré à plaisir le sentiment patriotique. Un instant on put croire à la menace d’une guerre sociale, au soulèvement du peuple des campagnes contre les bourgeois des cités et les habitans des châteaux, contre quiconque était suspect de ne point professer une foi aveugle dans le souverain et dans la dynastie, contre Paris surtout, que les paysans chargeaient de malédictions étranges, accusant les Parisiens d’avoir, par leurs sourdes menées, ouvert la frontière à l’invasion. La jacquerie ressuscite, disait-on. On eût pu se croire en effet contemporain du siècle qu’a dépeint Froissart : « Aucunes gens des villes champêtres sans chefs s’assemblèrent, et dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien qui tous les détruirait… » C’était, comme alors, à la trahison que criaient les « gens des villes champêtres » en 1870, et ils ne s’attaquaient pas seulement, comme sous la régence du dauphin Charles, aux chevaliers et écuyers du royaume, ou, comme en 1792, aux émigrés, aux nobles et aux prêtres, mais indistinctement à ceux que la fortune, l’instruction ou le travail ont tirés de la condition commune.