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sous le sabot de son destrier. Et moi, je me souviens pour me dire à toute heure : Ne laisse jamais entamer ta conscience de l’épaisseur d’un cheveu. »

Aujourd’hui, cinq août 1866, Paul est l’heureux père d’une petite fille aussi belle que son frère. M. Dietrich a voulu être son parrain. Césarine n’a pas donné signe de vie, et nous lui en savons gré.

Je dois terminer un récit, que je n’ai pas fait en vue de moi-même, par quelques mots sur moi-même. Je n’ai pas si longtemps vécu de préoccupations pour les autres sans en retirer quelque enseignement. J’ai eu aussi mes torts, et je m’en confesse. Le principal a été de douter trop longtemps du progrès dont Marguerite était susceptible. Peut-être ai-je eu des préventions qui, à mon insu, prenaient leur source dans uu reste de préjugés de naissance ou d’éducation. Grâce à l’admirable caractère de Paul, Marguerite est devenue un être si charmant et si sociable que je n’ai plus à faire d’effort pour l’appeler ma nièce et la traiter comme ma fille. Le soin de leurs enfans est ma plus chère occupation. J’ai remplacé Mme Féron, que nous avons mise à même de vivre dans une aisance relative. Quant à nous, nous nous trouvons très à l’aise pour le peu de besoins que nous avons. Nous mettons en commun nos modestes ressources. Je fais chez moi un petit cours de littérature à quelques jeunes personnes. Les affaires de Paul vont très bien. Peut-être sera-t-il un jour plus riche qu’il ne comptait le devenir. C’est la résultante obligée de son esprit d’ordre, de son intelligence et de son activité ; mais nous ne désirons pas la richesse, et, loin de le pousser k l’acquérir, nous lui imposons des heures de loisir que nous nous efforçons de lui rendre douces.

George Sand.

Nohant, 15 juillet 1870.