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Le débat fut en effet porté devant le commandant de la Blanche. Comme celui-ci ne se prononça point, nous ignorons s’il a reçu depuis une solution.

Un des articles de la loi sur la propriété dans le Tuamasaga porte que lorsqu’un animal domestique s’introduit dans une propriété, même fermée par une barrière, et y commet des dégâts, le propriétaire est tenu de le faire saisir et conduire devant le chef ; sinon il n’a droit à aucune réparation de la part du propriétaire de l’animal pour le dommage qu’il a éprouvé. Cette loi a été substituée à l’ancien usage samoan, qui, dans ce cas, permettait de tuer tout animal commettant des dégâts dans une propriété cultivée. Cet usage sommaire était parfaitement justifié par l’état presque sauvage des porcs, les seuls animaux domestiques de l’archipel, et par l’insouciance un peu forcée des propriétaires de ces animaux. La loi nouvelle, bien que plus juste en théorie, a le grand défaut d’être impraticable. Les terrains cultivés sont généralement enclavés dans des forêts épaisses où les animaux qu’il faut saisir trouvent un refuge assuré. De plus elle ne protège que les intérêts des missionnaires protestans et de M. Williams. Ce sont les seuls propriétaires de moutons, qu’ils viennent d’introduire dans l’île, et ils en tirent de grands profits en les vendant aux navires de passage à Apia. Néanmoins la loi nouvelle est un progrès sur l’ancienne, et il n’y aurait qu’à y applaudir, si elle ne donnait lieu à certains abus qui en sont une conséquence logique. Les moutons dont il s’agit, préservés par la loi, ne sont même plus gardés, et ils errent à leur gré dans la campagne, pénétrant aussi bien dans les propriétés des Européens que dans celles des indigènes. Pour juger des dégâts qu’ils y commettent, il suffit de dire que M. Hamilton, le pilote d’Apia, de qui nous tenons le fait, a eu dans une de ses propriétés plus de deux mille cocotiers de deux ans décapités par ces animaux, c’est-à-dire tués net[1]. La seule réparation qui lui fut offerte fut de remettre une noix de coco à la place de chacun de ces arbres. Un cocotier de deux ans vaut au moins 3 francs ; une noix de coco ne vaut pas 5 centimes.

Nous pourrions multiplier de pareils exemples ; mais à quoi bon ? Nous ne voulons pas davantage renouveler les accusations portées si souvent contre les ministres protestans, depuis Dumont-d’Urville, témoin de leurs débuts, jusqu’aux voyageurs les plus récens. Ces accusations, on ne les a pas épargnées non plus aux missionnaires catholiques. Les gouvernemens européens sont aujourd’hui, malgré

  1. Au sommet de la tige, on trouve un gros bourgeon nommé chou, qui offre un bon aliment ; mais, comme la taille du chou entraîne la mort de l’arbre, on n’en fait usage que lorsqu’on veut détruire l’arbre lui-même.