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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/482

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« Il construit un navire, et prétend que dans le droit européen on ne peut détourner un homme de son travail en raison des pertes qui s’ensuivraient ; or je dois vous dire qu’il y a je ne sais combien de temps que ce navire est en chantier, et il ne finit jamais.

« Autant qu’il peut avoir d’eau-de-vie à sa disposition, il fait enivrer les hommes et les femmes, ce qui est un Tapou de mon père Jean-Baptiste et de ma mère Falakika, ce qui est également le mien…

« Je suis honteuse des reproches qui me sont adressés par les Européens, qui me disent que je suis délaissée par la France, que la France n’a plus d’amitié pour moi, moi qui ai appris à l’aimer lorsque je n’étais encore qu’une jeune fille. »


Ces doléances révèlent un des côtés les plus sérieux de la situation des Wallis. Comment comprendre en effet que si longtemps un étranger ait pu braver l’autorité du pays qui lui avait donné asile ? Il y a plus, comment se fait-il que la présence de personnages si peu honorables soit une crainte pour les missionnaires ? Tout cela ne montre-t-il pas que ce sont là des sociétés mal réglées, des pouvoirs mal assis, flottant entre la faiblesse et l’arbitraire, et qui en ont tous les inconvéniens ? Partout en Europe il se rencontre des esprits inquiets, parlant sans cesse du droit qu’ils méconnaissent, réclamant au nom de prétendus intérêts qu’ils disent sacrifiés injustement ; mais partout il y a des tribunaux pour décider de la valeur de leurs plaintes, des lois que chacun doit connaitre, auxquelles chacun est tenu d’obéir. Aux Wallis, malgré vingt ans de souveraineté réelle des missionnaires, rien de tout cela : ni lois écrites et connues, ni tribunaux pour les appliquer. Qu’en résulte-t-il ? Pour les affaires intérieures, c’est la reine qui décide d’après son bon sens, d’après ses notions de justice, d’après celles de ses conseillers, c’est-à-dire de prêtres s’inspirant avant tout de leurs opinions religieuses, inspirations que peuvent à bon droit récuser et les capitaines des navires marchands qui fréquentent l’archipel, lesquels sont presque tous protestans, et les francs-maçons, comme notre compatriote M. D… Dans les affaires extérieures, c’est-à-dire dans les relations avec les commandans des navires de guerre, les officiers, en l’absence de toute loi écrite, en appellent à leur bon sens, à leurs propres notions de la justice, prennent leur décision après une enquête forcément insuffisante, et imposent cette décision. Dans les deux cas, les résultats sont identiquement les mêmes. L’arrêt prononcé, fût-il le plus juste du monde, étant l’appréciation d’un simple individu, n’ayant pas d’autre titre au respect, d’autre sanction morale que l’impartialité toujours à bon droit suspecte d’un seul homme, ne satisfait, ne peut satisfaire qu’une