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de ses opérations ultérieures. Cette ligne, du village de Sommain à Denain, avait été appelée par les soldats d’Eugène le grand chemin de Paris.

Jusque-là, le camp de Denain et la ligne fortifiée qui le mettait en communication avec Marchiennes étaient inexpugnables, car le prince Eugène les couvrait avec une armée aguerrie et nombreuse qui tenait la campagne, appuyée sur Bouchain et la ligne de l’Escaut. Il n’avait prévu qu’une attaque possible du côté de la garnison de Valenciennes, et il y avait pourvu. L’expérience prouva que la précaution du prince Eugène avait été suffisante de ce côté. Quant au maréchal de Villars, il était à droite, en face, sur la ligne de la Censée, et ne pouvait rien entreprendre d’offensif à ce moment sur la Scarpe ou sur les lignes de Denain, car il se serait mis entre les feux de Douai d’un côté, de Bouchain de l’autre, et une marche d’Eugène sur ses flancs aurait pu le détruire ; mais, lorsque Eugène voulut presser son opération sur l’Oise, il dut s’assurer le plateau du Quesnoy, et de sa personne il se porta en avant, sur la Sambre et Landrecies. Sa ligne de communication avec Marchiennes se trouva dès lors forcément et singulièrement développée. Pour la protéger, il continua la ligne de ses retranchemens au-delà de l’Escaut et se mit à couvert à l’aide de deux petites rivières ravinées perpendiculaires et affluentes à l’Escaut, la Selle et l’Ecaillon, à l’abri desquelles Eugène se dirigea sur Landrecies. Le camp retranché de Denain, qui était naguère à l’extrémité de cette ligne tirée de Marchiennes, et suffisamment couvert par l’Escaut, se trouva désormais au centre de la ligne prolongée et comme à cheval sur le fleuve. C’est alors que le coup d’œil habile d’un Français saisit la possibilité de prendre le prince en flagrant délit d’imprévoyance. Quel fut cet homme intelligent ? . Telle est la question qui se pose aujourd’hui et qui s’était posée pour les contemporains eux-mêmes, parmi lesquels les ennemis de Villars ont attribué tout l’honneur de la manœuvre au maréchal de Montesquiou.

Autant qu’on peut le conjecturer d’après les documens nouveaux, la première idée de cette opération militaire est partie de Versailles et du cabinet du roi. Elle a donc pour auteur Louis XIV ou M. de Chamlay[1] ; mais au moment où elle fut proposée, elle était inexécutable. Elle ne le devint avec avantage qu’au moment choisi par Villars. La correspondance du maréchal nous montre le roi suivant pas à pas, heure par heure, les mouvemens de l’armée de Flandre, et donnant au maréchal, la carte à la main, les instructions les plus intelligentes et les plus sages, en lui laissant toutefois et toujours sa liberté

  1. Voyez lot. XI des Mémoires militaires déjà cités (1862). Voyez aussi un Appendice important de M. Dussieux, dans le t. XIV du Journal de Dangeau, publié par lui et M. E. Soulié.