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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/554

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que les défilés des Vosges seraient défendus. Le gouvernement qui vient de tomber, toujours occupé de déplacer les responsabilités, a voulu faire retomber sur la ville de Nancy le poids de ses propres fautes. Aujourd’hui il n’est plus permis de se tromper sur le vrai coupable dans cette douloureuse histoire de l’invasion.

Que de fois n’avons-nous pas entendu répéter par nos généraux, par les officiers étrangers, que les Vosges offriraient à une armée française une ligne de défense admirable, que quelques milliers d’hommes pourraient y disputer le terrain pied à pied contre des masses ennemies ! Il suffit en effet de parcourir cette chaîne de montagnes pour voir tout de suite combien il est facile de la défendre : des bois profonds où peuvent se cacher des nuées de tirailleurs, des ravins, des rochers, d’étroits défilés ! Aucun pays ne se prête mieux à la guerre espagnole, aux combats de détails, aux escarmouches qui harcèlent une armée, à la défense opiniâtre, acharnée, où l’on ne laisse à l’ennemi que le coin de terre qu’il occupe, où l’on se reforme partout, sur ses flancs, devant lui, derrière lui, où l’on coupe ses convois, ses communications, où on l’isole de ses renforts, sans lui accorder un moment de repos, en tombant sur lui à toute heure par des sentiers où le nombre devient inutile, où la connaissance des lieux, le courage et l’adresse suffisent aux combattons.

C’est cependant cet admirable champ de bataille, ce rempart naturel, que les débris de l’armée de Mac-Mahon et les 35,000 hommes du général de Failly ont abandonné dès le premier jour, sans même essayer l’ombre d’une résistance, depuis Bitche jusqu’à Béfort. Si ces 50,000 soldats s’étaient maintenus dans la montagne, on eût pu organiser la résistance, armer les populations autour d’eux, derrière eux, empêcher l’ennemi de cerner Bitche, Phalsbourg, Strasbourg, garder des communications avec Metz, circonscrire le théâtre de la lutte, retarder tout au moins l’invasion de la Meurthe, de la Meuse, de la Champagne, donner le temps à une nouvelle armée de se former soit à Châlons, soit à Paris. Au lieu de cela, qu’ont-ils fait ? Ils se sont retirés précipitamment devant les Prussiens, dans le plus grand désordre, après avoir semé sur les routes de la Lorraine des milliers de traînards et de soldats mourant de faim. « Nous avons rejoint le corps de Mac-Mahon, écrivait un officier du corps de Failly, juste à temps pour participer à sa déroute, sans avoir pris aucune part à ses combats. » Arrivé à Châlons après des marches forcées, ce même officier disait : « Nous avons plus souffert de notre fuite que nous n’aurions souffert de la mitraille. »

Après l’abandon absolu et instantané de la ligne de défense qui les couvrait, que pouvaient faire les départemens de la Meurthe et de la Meuse avec des villes ouvertes, sans fusils, sans aucune garde nationale organisée ? Concentrer à Toul, dans leur unique place