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soldats. Tout le monde, du reste., sait prendre sa part du danger commun, des souffrances communes. Pendant que les hommes veillent aux remparts, les femmes recueillent chez elles et soignent les blessés. Leur dévouement supplée à tout ce qui manque dans une ville surprise par un siège avec une armée tout entière dans ses murs, à l’insuffisance du nombre des médecins, à la rareté du linge, à la difficulté de renouveler les ressources, sous les feux de l’ennemi. Cinquante mille habitans et près de cent mille soldats confondent ainsi leurs destinées, souffrent ensemble, espèrent ensemble, et guettent l’heure de la délivrance. Peut-être quelques larmes roulent-elles dans les yeux des femmes lorsqu’elles voient ceux qu’elles aiment affronter le danger, peut-être les hommes à leur tour pensent-ils aussi avec tristesse aux privations de leurs familles, aux épreuves nouvelles qui les attendent encore ; mais, si l’on ne peut s’empêcher de sentir ses souffrances, nul ne songe à s’y dérober ; aucun symptôme de défaillance ne se manifeste. Tant que les mains pourront tenir des armes, tant qu’il restera pour chacun un morceau de pain, on ne se rendra pas.

Le patriotisme de Strasbourg, de Metz, de Thionville, de Longwy, de Bitcher de Phalsbourg, nous trace notre devoir et dictait d’avance à M. le ministre des affaires étrangères ce qu’il fallait répondre aux exigences de M. de Bismarck. Pendant, que les plus petites comme les plus grandes de nos places fortes souffrent des maux si cruels et si longs pour ne pas se séparer de nous, pour demeurer françaises, nous ne pouvons à aucun prix les abandonner, nous exposer de leur part au reproche mérité de vouloir nous épargner à nous-mêmes, des sacrifices analogues aux leurs. De quel droit, avant d’avoir succombé nous-mêmes, disposerions-nous du sort de tant de braves gens qui supportent, depuis six semaines, toutes les horreurs des sièges, sans que l’ennemi ait pu leur arracher jusqu’ici une seule proposition de paix ? Nous n’avons perdu aucun de nos moyens de défense, nous commençons à peine à souffrir, et nous livrerions les remparts de Metz que le canon prussien n’a pas encore entamés, l’armée du maréchal Bazaine que deux cent mille hommes n’ont pas vaincue, Strasbourg qui, malgré ses blessures, résiste encore ! Le gouvernement espagnol aurait-il accepté de rendre Saragosse pendant que Saragosse mourait pour lui ? Si Paris veut rester digne du dévoûment de l’Alsace et de la Lorraine, c’est à son tour de donner l’exemple du courage. L’énergie de notre résistance décidera en même temps de notre salut et de l’opinion de l’Europe, sur notre compte,


A. MEZIÈKES.